Lettre de Philippe à Denise, Nantes 01-03-1931

Vous le savez, je vous l’ai dit, je suis très sceptique, et malgré ma bonne humeur, je vois souvent la vie comme ne valant presque jamais la peine d’être vécue et ce sont vos lettres et mon amour pour vous qui me font travailler. Sans cela, je plaquerai tout et je ferai d’énormes bêtises. Vos lettres sont pour moi un phare parce que tout ce que je vous ai déjà dit m’a créé des obligations envers vous –obligations qui disparaîtraient si vous cessiez de m’aimer.

A propos de vivre : il y a quelque temps, un de mes camarades est rentré ivre et en même temps fou furieux –il voulait tuer tout le monde et avait cassé la figure à deux « poires » sur les quais. Il était environ 11 heures du soir et j’étais en pyjama. Sur les 3 autres camarades qui habitent ici, il était ivre-mort dans son lit, et les deux autres s’étaient enfermés dans leurs chambres respectives, pas rassurés. Ma propriétaire ne l’était pas non plus. Alors, c’est moi qui l’ai calmé. On s’est bagarré dans le couloir, on a défoncé une porte vitrée, et je l’ai assommé puis je l’ai ligoté et lui ai vidé un seau d’eau froide sur la figure : ça l’a dégrisé. Je n’étais pas très joli à voir, une lèvre fendue et le nez qui saignait –mais ça ne faisait rien, j’étais très content de moi. Conclusion : le lendemain, le camarade, parfaitement remis, m’a remercié car, au moment où je l’ai arrêté, il allait chercher son revolver pour tuer toute la maison. Vous voyez, on s’amuse bien parfois !

Autoportrait (1927), de Christopher ’’Kit’’ Wood, né le 7 avril 1901 à Knowsley, près de Liverpool et mort le 21 août 1930 à Salisbury, peintre anglais dont l’œuvre a influencé le développement du modernisme anglais, malgré la disparition prématurée de son auteur à la vie bohème, mouvementée et marquée par l'addiction aux drogues.

Je pense au moment prochain où je vous retrouverai. Dites-moi dans votre lettre ou dès que vous le saurez par quel train, quel jour vous arriverez à Royan et alors, je tâcherai de trouver votre train à Saintes –si vous êtes seule. Seulement, je ne sais pas exactement quand le commandant nous lâchera. Théoriquement, nous avons congé du jeudi avant Pâques au jeudi après… mais si le Tonton est content de la promotion, il accordera peut-être quelques jours de plus.

Comments

[Nadia Dkhissy]

Magnifique histoire 💗