Lettre d’Ana Izquierdo à Denise, Bogota le 30 janvier 1933

  

  

Ma chère Denyse,

Quelle surprise ! Une lettre de Denyse pour moi[1].

Je suis très contente d’avoir de vos nouvelles, depuis si longtemps.

Inutile de vous dire le désir que j’ai d’être à St Laurent[2] le 2 février, mais tout en Colombie a changé.

Nous sommes presqu’en guerre[3] avec le « Peru », impossible de sortir maintenant du pays ;

Alfredo[4] a eu besoin d’aller à New York, mais il n’a pas pu ; très difficile pour avoir la permission de sortir.

Je suis des cours d’infirmerie, pour aider les soldats pendant la Guerre.

Je serai bien contente si vous alliez à St-Laurent, Blanca sera enchantée de vous voir[5].

Alfredo n’est pas marié encore. Matallana[6] a eu une grippe terrible.

  

Correa est en train de se marier. Rosas travaille comme radiologue dans un hôpital. Les Quintero[7] sont à la campagne, les Fajardo[8], bien, à Bogota.

Il y a beaucoup de désir, dans mon cœur, d’aller en France, de vous voir, de me promener dans cette ville que j’ai tant aimée, de voir les belles expositions dont vous me parlez ; être avec Blanca et Emma, parler français et voir des milliers de Français à côté de moi.

Ecrivez-moi, je vous prie, envoyez de temps en temps des journaux. Comme je désire savoir toutes les choses intéressantes qui se passent là-bas.

J’étais à la campagne trois mois avec Alfredo, car il est le médecin d’une ligne de chemin de fer, et il a sa maison en plein champ, elle est très jolie, il a beaucoup de travail ; un climat chaud.

Maman, Alfredo, Soledad sont très contents de vos nouvelles et ils vous envoient leur bon souvenir. Gardez pour vous mes baisers affectueux. A Simone, mille choses,           

                               Ana

En annexe: Une vie riche et courte... le docteur Hernando Matallana

(remerciements à Julia Gutieriez Matallana pour l'envoi de ces précieux articles)

  Deux remarques me viennent à l'esprit, après étude de ces documents:

-  la raison de son décès n'est pas mentionnée, mais on peut penser, à travers l'oraison funèbre, qu'il a succombé à une crise cardiaque

- il est émouvant de constater que la photo dédicacée à Denise en 1930 est la même que celle choisie par la presse colombienne pour honorer sa mémoire.

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[1] Les derniers courriers échangés entre Denise et Anita (Ana) Izquierdo remontent à novembre 1931. Denise a profité de la nouvelle année 1933 pour envoyer ses vœux et ainsi renouer.

[2] Il s’agit de la prise de voile de Blanca Izquierdo, qui se déroule à Saint-Laurent sur Sèvre en Vendée. Dans une lettre du 21 février 1939, Denise donne quelques explications sur les sœurs Izquierdo : « Je ne sais pas si je t’ai dit qu’il y a en France actuellement des jeunes filles colombiennes que j’avais connues il y a très longtemps –une dizaine d’années. Elles ont deux sœurs religieuses, l’une au Carmel de Bordeaux, l’autre à Nantes. » Les adresses des deux religieuses indiquent que Blanca est à Nantes et l’autre sœur, Mercédès, à Bordeaux. Au cœur du bocage vendéen, à 10 km du Puy-du-Fou, Saint-Laurent-sur-Sèvre doit son nom de « ville sainte de la Vendée » à Louis-Marie Grignion de Montfort. Quelque 25 000 visiteurs par an, comme Jean-Paul II en 1996, viennent se recueillir sur son tombeau dans la basilique. On compte aussi à Saint-Laurent un ensemble scolaire religieux, Saint-Gabriel - Saint Michel.

[3] La guerre colombo-péruvienne de 1932-1933 est un conflit armé entre la République de Colombie et la République du Pérou, qui dure entre le 1er septembre 1932 et le 24 mai 1933. Il s’agit essentiellement de litiges frontaliers et la Colombie réussira à préserver son territoire, après un début de guerre qui lui était défavorable, le Pérou étant l’agresseur.

[4] Alfredo est l’un des garçons de la famille Izquierdo.

[5] Blanca Izquierdo, par sa prise de voile, est devenue sœur Alfred de Saint-Marc, au sein de la communauté des Filles de la Sagesse, qui possède une chapelle de style néogothique à Saint-Laurent sur Sèvre et fut créée par Louis-Marie Grignion de Montfort. Ce monument, construit dans les années 1860 par les architectes Faucheur et de Boismien, est l’un des édifices les plus importants de la région.

[6] Hernando MATALLANA (1901-1944) était médecin. Il a épousé Leonor FAJARDO ESCOBAR (née  en 1911) ; il est donc assurément le beau-frère de Lola FAJARDO, dont la famille est citée dans cette lettre. Il est décédé à l’âge de 43 ans à Bogota.

[7] Quintero est docteur et a une fille, Clema, ou Clemita.

[8] Denise était amie avec une certaine Lola FAJARDO dont les adresses sont indiquées ci-dessus. J’ai trouvé trace d’une Lola FAJRDO, née à Bogota, mariée à Hernando SCARPETTA BUENO.