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De si longues Fiançailles
20 juillet 2020

Lettre de Denise à Philippe, Paris, mercredi 2 mai 1934

Je  m’aperçois que j’ai reçu ta lettre depuis huit jours déjà. Pourtant, ce ne sont pas les distractions qui m’empêchent de t’écrire : je ne suis pas allée au cinéma une seule fois depuis mon retour ! Par exemple, je fais du sport (sûrement plus que vous, Monsieur !). Je vais deux fois par semaine à Académia, pour la culture physique, et je vais y aller une fois aussi pour la natation. A propos, tu sais, je nage sur le dos… mais toujours dans 1m50 d’eau ! C’est pourquoi je veux m’entraîner au club, avec un moniteur et une monitrice sur le dos, j’aurai sans doute plus de courage.

Je n’irai sûrement pas à Royan pour la Pentecôte. J’ai vu Indu, elle a renoncé à partir avec moi pour deux ou trois jours. Mais le Baron[1], qui a une auto, doit nous emmener le dimanche sur une plage quelconque.

1934 05 02 à Gournay en juillet Indira & Eugène de Ribert Kajanus né en 1913   Plage de Gournay, Indira et Eugène de Ribert Kajanus (né en 1913), juillet 1934

Dimanche dernier, je n’ai pas eu le temps d’aller avec eux (je ne l’ai pas regretté, du reste, il faisait un froid…). Ils sont allés dans un patelin qui s’appelle …X –les-Roses (Veules-les-Roses) et qui est, paraît-il, très joli.

1934 05 02 Veules-les-Roses  une vue actuelle de Veules-les-Roses

J’attends qu’il fasse plus chaud et j’irai moi aussi, j’en profiterai pour apprendre à conduire. Figure-toi, Indu sait déjà ! Ma mère vient de me recommander de faire attention à ce que j’écrivais : il paraît que si une de mes lettres se perdait, ma réputation se perdrait par la même occasion !

Samedi prochain, c’est le vernissage du Salon. J’y vais avec les Sher-Gil pour voir mon portrait et le nu de la femme séduisante qui a failli te dégoûter de l’amour, quand tu as vu sa photo… Mme Sher-Gil a trouvé que j’avais grossi et que je lui ferai bientôt concurrence. Je n’en ai pas été particulièrement flattée : si tu la voyais !

1934 05 02 Catalogue Jeune Fille en noir (2)

1934 05 02 Catalogue Jeune Fille en noir (3) il s'agit du tableau offert à Denise et disparu pendant la guerre

1934 05 02 Catalogue Jeune Fille en noir (1)  Catalogue du Salon 1934

Est-ce que tu as raccommodé les fiançailles de ton ami Lafon ? N’oublie pas de me le dire, ça m’intéresse beaucoup de savoir ce que tu vaux comme ministre plénipotentiaire. Si tu vas à son mariage et qu’il ait lieu pendant les vacances, j’irai avec toi ! Tu lui demanderas de m’inviter…

Rosé a fait une conférence contre les magasins à prix unique[2] devant un auditoire de petits commerçants. Ça lui a rapporté cinquante francs, mais je crois que personne ne l’a écouté : ça valait mieux du reste, il n’avait pas trouvé de raisons valables contre les prix uniques !

1934 05 02 Familistère  Familistere, enseigne "à prix unique" (photo Robert Liauzu)

Simone et lui gagnent de l’or, pour l’instant, lui, en donnant des leçons de français à une Allemande, elle, en faisant des expertises[3]. Elle est toujours aussi idiote avec lui, je suis désespérée ! Ce mariage (de Simone avec Rosé), et celui d’Indira avec le Baron, s’ils se font, seront vraiment ce qu’on peut appeler des mariages d’amour ! Il est vrai que je me demande si ça existe…

Mon amie égyptienne[4] vient de m’écrire en ces termes :

« Pour parler franchement, je t’avouerai que je ne suis pas très emballée encore, je ne connaissais pas du tout mon fiancé avant mes fiançailles, puis il y a presque douze ans de différence entre nous deux : je n’aurais jamais voulu me marier avec autant de différence, je pensais toujours que 7 ou 8 ans suffisaient, mais enfin ! l’idéal ne peut être atteint… »

Tu ne trouves pas ça révoltant, que tous ces idiots puissent se marier ensemble sans savoir pourquoi, pendant que nous, nous sommes toujours séparés ?



[1] "Le Baron" est-il vraiment un pseudonyme dont est affublé Géraud, soupirant en titre d’Indira qu’elle compte épouser (pour l’instant)? Le mystère s'éclaircira en 1936.

[2] Les magasins populaires représentent un nouveau type de commerce, né de la crise des années 1930. Ils vendent, au départ, des articles à prix unique (classés par prix) et en grande série, à l'opposé du commerce traditionnel dont la gamme de prix est variée.  Uniprix est lancé par Les Nouvelles Galeries en 1928, Prisunic par Le Printemps en 1931, Monoprix par Les Galeries Lafayette en 1932. Souvent situé près du centre ville, ce type d'enseignes connait un grand succès auprès des classes populaires. Les supérettes, tels Franprix ou, autrefois, Familistère et Félix Potin sont des magasins à large dominante alimentaire, dont la surface s'étend de 120 à 400 mètres carrés.

[3] Simone sœur de Denise et Lucien Rosé, son fiancé, sont tous deux étudiants en licence de droit.

[4] Nelly Zaky, d’une riche famille copte.

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