Lettre de Denise à Philippe, Château de la Ribe dans le Cantal, ce 16 août 1935

Phil,

Je t’écris cette fois à Royan, mais je suis vraiment inquiète. Je cherche les causes de ton silence, et comme je n’en trouve pas de valables, je commence à m’affoler. J’ai entendu parler de grèves du côté du Havre –nous n’avons pas de journaux ici- mais ce n’est tout de même pas ça qui doit t’empêcher d’écrire. Tout de même, je ne comprends pas que tu puisses m’aimer et que tu agisses comme cela en même temps. Je t’assure, par moments, il me vient des doutes : je pense que tu es pris de plus en plus par la vie que tu mènes, et que tu m’oublies peu à peu. Ce n’est pas vrai, dis, je t’en prie ?

Il m’est arrivé une chose un peu bête : je suis tombée malade ici. J’ai eu de l’embarras gastrique et un peu de dépression nerveuse. C’est une fantaisie un peu ennuyeuse quand on habite, comme moi en ce moment, un vieux château perdu dans la montagne[1], à quatre kilomètres du médecin le plus proche[2]. J’ai été malgré cela très bien soignée, et tous les gens[3] qui m’entourent sont très gentils pour moi –à l’exception d’une insupportable petite chipie, genre provinciale émancipée, faiseuse de ragots et d’histoires, qui a essayé de dresser les uns contre les autres. Heureusement, elle est partie, et tout laisse à prévoir que la fin de mon séjour se passera agréablement. Il y a de belles excursions dans les montagnes, et j’ai hâte d’être tout à fait guérie pour pouvoir les reprendre. Je me lèverai cet après-midi, mais je suis encore assez faible, n’ayant presque rien mangé pendant plusieurs jours.

        

Le village de Polminhac et le château de La Ribe dans le Cantal

Simone viendra probablement me rejoindre dans le courant de la semaine prochaine. Elle fait un très beau voyage : Belgique, Hollande, Luxembourg, Alsace… Je ne sais pas où elle va s’arrêter ! Elle a l’air ravie, et Rosé aussi.

Je serai à Royan dans les premiers jours de septembre. Et toi, que fais-tu ? C’est un peu fort que je ne sache même pas si tu es encore en France ou si tu es déjà reparti. Enfin, je suis ta fiancée tout de même. Tu me traites exactement comme si j’étais pour toi un flirt de quinze jours.

Je t’embrasse tout de même  -mais je suis très fâchée.

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[1] La Ribe est un hameau avec son  château dans la montagne. Jean de la Ribe en était seigneur en 1654. Une belle maison à quatre étages voûtés a remplacé le château; elle appartint par la suite à la comtesse Roger-Ducos.

[2] Le médecin devait exercer à Vic sur Cère, distant de 4 à 5 km de du château de La Ribe.

[3] Denise est partie de Paris avec un couple ami : Blanchette et Eugène de Ribert-Kajanus, plusieurs fois cités dans sa correspondance.