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De si longues Fiançailles
15 décembre 2020

Lettre de Denise à Philippe, Paris, mardi 28 juillet 1936

J’ai reçu ta lettre ce matin. Je suis un peu triste que tu sois collé (à l’oral). Est-ce qu’il te manque beaucoup de points ? Depuis ta lettre, je pense que tu ne rentreras pas à Bordeaux en septembre pour travailler. Le plus embêtant serait que tu ne puisses pas partir pour ton service. Rosé s’est trouvé dans le même cas, mais en plus, il était collé aussi à l’écrit. Il est tout de même parti 3 semaines après les autres. Mais il avait passé sa P.M.S. Alors, je ne sais pas si dans la Marine, c’est la même chose. 

1936 07 28 Lucien P Rosé passe sa P.M.S.

 Moi aussi, j’ai grand hâte de te voir. Alors, écoute, ne sois pas fâché par ce que je vais te dire : Marjorie qui devait venir en septembre m’a télégraphié qu’elle pouvait être à Paris le 1er août.

1936 07 28 Marjorie Jenns en 1931 Marjorie Jenns en 1931

Ça m’a ennuyée un peu, j’aurais préféré le mois de septembre où je ne suis pas seule avec toi. Mais elle ne reste qu’une dizaine de jours, et surtout ça obligera mes parents à me laisser partir plus vite, ce qui fait qu’au fond, nous lui devons de la reconnaissance. Il y a eu toute une série de scènes depuis que j’ai reçu ce télégramme, comme malheureusement, je dépends de mes parents cette année pour l’argent. Enfin, de guerre lasse, j’ai écrit à Marjorie qu’elle vienne le 3 –je n’étais pas prête avant- ou le 10. C'est-à-dire lundi prochain ou le suivant. Nous partirions par le train du soir qui arrive à Royan à 8 heures moins 10 environ, le matin, je crois –et j’espère- qu’elle ne pourra pas retarder son voyage jusqu’au 10 à cause du mariage de sa sœur. Ainsi on ne pourra rien dire, et nous serons ensemble dans quelques jours.

Je suis si lasse de toujours me disputer, et la vie devient de plus en plus difficile à la maison. Rassure-toi, tu n’es pour rien dans les discussions continuelles.

J’ai reçu une lettre d’Indu[1] qui me recommande de rester chez moi le 1er, le 2 et le 3 Août parce qu’elle a chargé un jeune hindou fraîchement débarqué de me remettre un paquet !

La sœur[2] du consul du Chili à Bordeaux –qui habite cours de Verdun et que je devais voir pour Pâques- m’a écrit qu’on était absolument sans nouvelles de mon amie d’Espagne. On pense qu’elle était à San Sebastian au moment où la révolution a éclaté, et il est impossible de rien savoir. Elle a deux petits enfants de dix-huit mois et de quatre ans. Il paraît que la ville est toujours bombardée et qu’il s’y est déroulé des scènes de carnage effrayantes. Je connais Nena  (de Bernalès) depuis très longtemps –au moins douze ans- elle est très gentille et très douce, et ça m’impressionne beaucoup qu’elle soit là-dedans. Du reste, ce qui se passe en Espagne me terrifie, je lis au moins six journaux tous les jours –et ils donnent tous des nouvelles contradictoires. Enfin, ça me déprime beaucoup. Parce que tu sais, je ne crois pas à une révolution comme cela ici, mais plutôt à quelque chose dans le genre du 6 février (1934). Il y a trop de gens mécontents et excités. Mais j’ai tellement le cafard que je ne vois que des guerres et des révolutions à l’horizon en ce moment. Sûrement, quand je serai à Royan, j’oublierai tout cela.

1936 07 28 Ubeda Jaen Nena de Bernalès en 1925      1936 07 28 Espagne arêne sanglante Le Journal

Nena à Ubeda (Jaen) en 1925, un an après sa rencontre avec Denise     Guerre d'Espagne, Le Journal du 28 juillet 1936

Nous pourrons aller dans l’île d’Oléron après le départ de Marjorie. Dans quelle partie de l’île se trouve le pays dont tu me parles ? Je ne sonnais pas ce nom. Simone et Rosé sont partis pour la Bretagne ce soir. Ils ont pris des bicyclettes cette année, mais ici, il y a une épidémie de tandems : on ne voit que cela.

1936 07 28 Simone & Lucien voyage en Bretagne Simone et Rosé à vélo en Bretagne



[1] Lettre d’Indira que j’ai datée aux environs du 20 juillet

[2] Il s’agit de Josefina de Bernalès Larrain, dont la nièce, Nena, est mariée à un diplomate espagnol don Manuel "Manolo" Bermudez de Castro (cf lettre du 19 février 1936)

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