Lettre de Nelly à Denise, Le Caire, ce 29 juillet 1936

  

Denyse chérie,

Je suis vraiment confuse de t’avoir fait attendre si longtemps ma réponse : ma lettre te trouvera-t-elle à Paris ou à Royan ?

Je t’écris du jardin où je suis avec Bébé dès 7 heures du matin[1].

Depuis le 1^er Juillet, sa gouvernante m’a quittée, je n’ai pu la remplacer, n’en trouvant pas, alors je me suis décidée à m’occuper de l’enfant moi-même, ce sera une distraction et je serai sûre de l’élever comme je le veux !

Sais-tu qu’on les paye 300 Frs par mois, ce sont des paysannes slaves ou italiennes, que l’on forme soi-même !

Chérie, je suis anxieuse de connaître le résultat des examens de Phil. Je serai si heureuse de savoir qu’il a été reçu ! Et Simone ? Et son fiancé[2] ? Ecris-moi vite pour m’annoncer trois succès !

Je suis continuellement obligée d’interrompre ma lettre pour courir après Baby qui se remplit la bouche de petits cailloux, court après les corbeaux et les chiens ! Il ne peut pas entendre une note de musique sans battre de suite la mesure, et demande constamment à sa tante Aida le gramophone : il a déjà reçu pour son anniversaire un disque de Shirley Temple !

  

Il est 9h, je viens de l’endormir, il est réveillé depuis 5h30. Vers 9h15, je rentre à la maison, il commence déjà à faire chaud : du 40° à l’ombre !

L’après-midi, je le promène de nouveau, toujours dans ma voiture, de 6h à 7h30. Tu vois que ma journée est bien remplie : maman et Sophie m’aident beaucoup.

Parle-moi de tes projets, Denyse. Es-tu déjà avec Phil ? Je voudrais tant te revoir, le connaître et vous voir tous les deux ensemble ! Y a-t-il des chances pour que Simone vienne en Egypte ?

Mon procès est renvoyé au 2 Octobre, tu vois comme c’est long : les audiences deviennent trop fréquentes, et le conseil de famille ne se prononce pas ! J’ai entendu dire qu’il était parti en Europe. Naturellement, il se soucie peu de sa femme ou de son fils, depuis le 20 Décembre, date où j’ai quitté la maison, il n’a revu son fils qu’une fois !

Le sentiment paternel n’existe pas chez lui ! Sa famille a une grande part de responsabilité, mais il ne faut pas oublier que s’il a fondé un foyer, c’est de son plein gré, s’il a choisi sa femme, c’est bien lui seul qui l’a choisie, alors, pourquoi ne pas lutter de tous ses forces pour garder ce qu’il avait constitué ?

Si tu savais comme j’en ai assez de ce pays, des idées et de notre mentalité : je sens que je ne vis pas ! Malheureusement, il est bien difficile pour moi de voyager seule. Tout le monde parle déjà de l’Exposition 1937 (de Paris)[3]. Beaucoup ne sont pas partis cette année, pour pouvoir le faire l’année prochaine !

  

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[1] La dernière lettre de Nelly date du 18 avril 1936.

[2] Lucien Rosé

[3] L’Exposition Universelle de Paris 1937 attira plus de 31 millions de visiteurs du monde entier. L’Egypte  y avait son pavillon, construit par l’architecte Roger Lardat. Il est situé dans les jardins du Trocadéro,  en bordure de la grande cascade, et en arrière du Pavillon de l'U.R.S.S. Il est qualifié de «  véritable bijou ».