Lettre de Denise à Philippe, Royan, ce 1er octobre 1936

Il est onze heures du soir, je suis couchée et t’écris appuyée sur la petite table. Ce n’est pas très, très  confortable. Mais comme je suis toute seule, je peux mieux penser à toi. Et puis, il y a plus d’un mois déjà, nous étions souvent tous les deux dans cette chambre, tu te souviens ?

Je suis allée voir tes parents ce soir ; ils sont en train de déménager et ton grand-père part demain[1].

  île d'Oléron, plage de Boyardville

Ta mère m’a demandé si je savais quand tu arrives. Elle pense que ce sera le samedi. Mais moi, j’espère bien que tu arrives le vendredi soir. Je partirai le 12 (octobre) au matin, c’est décidé maintenant[2].

Aujourd’hui, il fait très beau, et pas trop froid. Je suis restée une heure sur la plage en maillot de bain, et cet après-midi, j’y suis retournée, mais le soleil se cachait souvent. J’ai vu les Mignot, et je suis même sortie avec eux avant le diner. Ils sont vraiment très gentils. J’ai dit à Linette Mignot qu’elle me prévienne si elle allait à Paris cet hiver. Parce qu’on pourrait aller patiner ensemble. Avec le départ de Simone, j’ai peur que ce soit tout de même un peu triste pour moi. Parce que je n’ai à peu près plus personne comme amis.

Figure-toi que j’ai mis du philopode[3] sur mes mains parce qu’elles devenaient un peu rugueuses, à cause du froid, c’est pour ça que l’encre est tellement bizarre ; elle ne marque pas aux endroits où mes mains se sont posées.

   

 Deux espèces de phyllopodes: hieracium alpinum et hieracium murorum

  l'encre ne marque pas aux endroits où mes mains se sont posées

J’espérais avoir une lettre de toi aujourd’hui, Phil. C’est vrai que moi aussi j’aurais dû t’écrire. Je crois vraiment que c sera merveilleux quand nous serons mariés. Et puis, tu sais, on ne se disputera jamais !

Si je me réveille assez tôt, je continuerai à t’écrire.

PS (le matin) : j’ai fait un rêve affreux, mais je ne veux pas te le raconter, parce que c’est trop triste et trop horrible. Il est 10 hures ¼ et je dois me lever.

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[1] Destination l’île d’Oléron où Lucie et son père Paul Dyvorne viennent d’acquérir une maison à Chéray.

[2] Cette année, bouleversement de programme : en raison du mariage prochain de Simone le 30 octobre, Simone est partie la première, suivie de ses parents et Denise est restée seule à Royan, à loger dans la petite maison annexe de la tante Marie, qui a décidé du 12 octobre pour retourner dans sa maison de Baignes, en Charente. 

[3] philopode s’écrit en réalité phyllopode. Il s’agit de plantes à port très variables, vivaces, en forme de rosette basale entière, desséchées, entrant dans la préparation de produits pharmaceutiques (crème, en l’occurrence). A ne pas confondre avec un petit crustacé du même nom, qui n’intervient pas en pharmacopée.