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De si longues Fiançailles
4 décembre 2021

Lettre de Paul Dyvorne à Denise, Chéray (Oléron), Lundi 8 janvier 1940

1940 01 08 Lettre Paul (1)  1940 01 08 Lettre Paul (2)

1940 01 08 Lettre Paul (3)  1940 01 08 Lettre Paul (4)

1940 01 08 enveloppe

Ma chère Denise,

Merci de votre aimable et affectueuse lettre reçue ce matin, nous apportant, avec vos bons souhaits, des nouvelles de notre cher Philippe[1]. Très prise par ses heures de bureau, Lucie[2] vous répondra très certainement un jour prochain, mais je tiens, dès aujourd’hui, à vous dire combien nous sommes heureux de pouvoir envisager le retour probable avant longtemps de celui qu’il nous tarde de revoir et d’embrasser après cinq mois d’absence.

1940 Paul Dyvorne à Chéray

 

La dernière carte adressée par Philippe portait la date de départ du 6 septembre et ne comportait que quelques mots, obligatoirement brefs, mais suffisants pour nous tranquilliser. Vous nous donnez des précisions intéressantes, bien que forcément vagues, qui fortifient notre espérance. Dans les jours présents, il ne faut pas être trop exigent et savoir se contenter de peu. La patience, dit-on, est la vertu des sages et il est des heures dans la vie, quand ceux que nous aimons sont loin de nous, où il est bon d’habituer le cœur à la tristesse de l’attente.

Les périls de guerre sur mer s’atténuent progressivement et je pense bien qu’avant peu de mois, ils n’existeront plus ou si peu. La navigation redeviendra normale, les marins ne seront plus sujets qu’aux accidents rares que provoquent la nature ou les collisions.

Je serais un peu surpris de voir la situation de guerre se prolonger jusqu’à l’été. J’ai le pressentiment et je l’entretiens précieusement dans ma pensée, que le conflit armé cessera vers mai ou juin.

Quand on pensait que la guerre ne durerait que quelques mois La guerre ne durera pas...

Quant à la paix, la paix européenne définitivement assurée, elle demandera un long temps, mais les combats sur mer, sur terre et dans les airs cesseront.

La perspective du débarquement de Philippe sur un point des côtes de l’Atlantique vous sourit moins que sa rentrée à son port d’attache (Toulon), et je le comprends. Mais cela vous permettra de le revoir quand même pendant les quelques semaines de la permission qu’il obtiendra certainement s’il vous fait revenir par ici pour vous rapprocher de lui, ne vous inquiétez pas des frais de déplacement qui surchargeraient votre budget. Votre vieux grand-père se fera un plaisir d’en prendre sa part. Nous pourrons ainsi nous trouver réunis ici comme il y a un an.

Si Toulon est monotone, Chéray l’est bien davantage, mais le bonheur d’être ensemble, ne serait-ce que pendant quelques jours, transformera cette monotonie en joie familiale. Beau projet ! Pourrons-nous le réaliser[3] ?

Dans notre île, l’existence est immuable et se résume en deux mots : apaisement, solitude. C’est tout ce que peuvent désirer les vieillards avec le maintien de la santé. Ma mienne paraît disposée à conserver sa bonne habitude et la vôtre est garantie et protégée par la jeunesse. Je fais des vœux pour que l’année qui vient d’ouvrir sa grande porte sur l’inconnu de l’avenir vous soit favorable, et vous ramène à brève échéance celui que vous aimez, que nous aimons.

Porte sur l'inconnu Anne Le Doré

 

Je vous embrasse affectueusement                                     Paul Dyvorne

 

Considérations de Paul, né en 1860, sur la France vaincue et l’approche de sa propre mort

1940 10 24 Paul Sonnet

 

                Sonnet (jamais publié)

C’est un soir… Lentement, la nuit étend son voile

Sur la Terre assoupie. Il semble qu’en mon cœur

Un grand vide se fait ; au ciel pas une étoile.

De tout bruit d’alentour le silence est vainqueur.

 

Une immonde araignée, au mur tisse sa toile.

Je l’aperçois à peine à la pâle lueur

Du flambeau qui s’éteint, dont la flamme se voile.

Je le sens, c’est la Mort qui s’approche en voleur.

Qu’elle vienne ! Je sais que son heure est prochaine.

Au vieux clocher voisin, j’entends sonner minuit,

Prélude du sommeil de l’éternelle nuit.

 

A mon âge, la vie est au bout de sa chaine.

Quatre-vingts ans ! Je suis au bord d’un trou béant,

Et la mégère est là qui montre le néant !

24 octobre 1940

1945 Paul  Sous-main Paul Dyvorne

 



[1] Pour rappel : après un dernier voyage au long cours pour s’approvisionner en pétrole, Le Niger est à présent bloqué à Dakar en raison de la guerre (de nombreux bâtiments ont été coulés par les Allemands dès le début des hostilités, et Philippe attend désespérément une occasion de regagner la France).

[2] Lucie Dyvorne, la mère de Philippe, travaille à la perception du Château d’Oléron.

[3] Il y eut en effet retrouvailles, de quelques jours seulement en Charente Maritime entre Denise et Philippe, avant que ce dernier ne soit rappelé et entame le dernier voyage sur le Niger, jusqu’au port de Dunkerque…

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