Lettre de Denise à Philippe, Paris, vendredi soir 30 octobre 1936
Ne sois pas triste si je ne t’ai pas écrit très souvent, mais vraiment, je ne pouvais pas. Et encore, jusqu’à leur départ, je n’ai pas beaucoup de temps, il y a des tas de repas de famille, mon cousin de Bordeaux reste jusqu’à dimanche, etc. Je pense à toi très souvent, tu sais, je compte les jours qui nous séparent. Combien resteras-tu de temps à Paris, Phil ?
Hier, ça s’est très bien passé. Simone était vraiment très jolie, elle a reçu beaucoup de cadeaux, de télégrammes, de fleurs.
Sortie de l'église photos signées Vero (Werner Rosenberg) Simone
A l’église, il y avait plus de cinq cents personnes et le défilé dans la sacristie a duré une demi-heure ! Après le déjeuner, qui était très bon, nous sommes allées nous déshabiller, puis nous avons été diner au restaurant de la Mosquée et ensuite au cinéma voir « Marie Stuart[1] » avec Katherine Hepburn, une actrice que j’aime beaucoup. Elle était merveilleuse mais le film était triste, triste…
Le déjeuner
La Mosquée de Paris, son restaurant
Le film Marie Stuart et son actrice vedette, Katherine Hepburn
Tout le monde pleurait. C’était réconfortant. Ensuite, nous sommes allés au Bal Tabarin[2] pour danser et voir le French Cancan (Simone et Lucien nous avait quittés après le cinéma) et nous avons fini la soirée dans une brasserie de la place Pigalle.
suite des festivités: bal Tabarin et place Pigalle
Mon cavalier était un ami d’enfance de Rosé, pharmacien assez gentil et amusant. Mais naturellement, ce n’aurait pas été la même chose pour moi si ça avait été avec toi !
Qu’est-ce que tu dis de la course Paris-Saigon[3] ? Pour quelque chose de lamentable et de raté, c’est réussi ! Je ne crois pas que l’aviation française soit dans une posture très brillante en ce moment.
documents de la course Paris-Saigon
Bréguet Fulgur 1936 participant à la course
Le jour de ton arrivée, je te téléphonerai au Royal Park vers 9 heures- 9 heures ½ pour te dire ce que nous devons faire. Parce que je devrai très certainement aller à la gare pour accompagner Simone. Alors peut-être que nous pourrions aller dans leur hôtel avant. Mais je ne peux rien te dire de précis pour le moment, cela dépend uniquement d’eux. Combien de jours dure ton examen ?
Je crois que nous devons allez chez les Bonnot[4]. Si cela ne t’ennuie pas, j’aimerais mieux qu’on y aille seulement le 2e ou 3e jour, pour que j’aie une robe pas trop mal. Parce que naturellement, comme personne ne s’occupait de moi, je n’ai plus rien à me mettre et la couturière n’aura sûrement pas le temps de me faire une robe pour mardi soir.
Je te quitte, Phil. N’aie pas le cafard puisque tu vas me voir, mais ne pense pas à moi au point que ça t’empêche de travailler, parce que vraiment, il faut que tu sois reçu.
[1] Film de John Ford sorti en 1936 : dans l'Ecosse troublée du XVIème siècle, une lutte sans merci oppose deux femmes avides de pouvoir: la Reine Elisabeth 1er, fille de Henri VIII et sa rivale, la jalouse Marie Stuart, qui multiplie les intrigues contre la souveraine. La guerre civile va forcer cette dernière à fuir l'Angleterre, où des jours bien sombres la guettent.
[2] Le Bal Tabarin était un cabaret parisien situé au 36, rue Victor-Massé dans le 9e arrondissement au pied de Montmartre. Fondé en 1904, il est définitivement détruit en 1966.
[3] Départ de la course fin octobre 1936. Avions : Bréguet Fulgur, Caudron C444, équipages Détroyat-Durmont, Arnoux-Japy, Challe-Brill. 25.10.1936. Tentative de raid Paris-Saigon-Tokyo, accident à Karachi.
[4] Le commandant Roger Bonnot et son épouse Yvonne sont des amis de la famille Dyvorne. Roger Bonnot a piloté les hydravions « Lieutenant de Vaisseau Paris » et « La Croix-du-Sud ».