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De si longues Fiançailles
20 février 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce 12 janvier 1937

Tu dois avoir quitté l’Angleterre maintenant. As-tu reçu mes deux lettres à Cardiff ? Il y avait aussi une carte de Maman. J’attends quelque chose de toi avec impatience, je pense que je l’aurai demain.

Je m’ennuie de toi, je voudrais te revoir. Il y a huit jours, nous étions ensemble. Déjà ! et comme ça a passé vite.

Je suis allée au cours d’espagnol : j’avais même préparé la leçon et fait trois devoirs ! En sortant, je suis passée chez Gibert pour acheter le livre d’anglais pour demain. Naturellement, j’ai regardé les livres qu’ils avaient –ça devient une manie- et j’ai acheté « Dingley, l’illustre écrivain », des frères Tharaud. C’est une sorte d’histoire de Kipling. J’avais entendu dire autrefois que c’était très bien, et j’ai été déçue parce que ça ne me plaît pas. Ça se passe au moment de la guerre contre les Boërs, et comme à ce moment-là, l’Angleterre n’a pas agi d’une façon très chevaleresque, et que Kipling est le champion de l’impérialisme anglais, l’impression est un peu pénible pour les gens qui aiment Kipling –comme moi[1].

Jérôme 1874-1953 et Jean Tharaud 1877-1952     Dingley l'illustre Ecrivain 1906

 Les frères Jérôme (1874-1953) et Jean (1877-1952) Tharaud et leur ouvrage, sorti en 1906

Je te le donnerai quand même, avec « Tonio Kröger », quand je te reverrai.

Que fais-tu en ce moment, Phil ? Tu dois dormir encore pour quelques minutes, à moins que tu sois déjà arrivé à Calais. Mais cela, je ne le crois pas. Tu n’as pas du quitter l’Angleterre avant ce soir.

Il m’est de plus en plus pénible d’être séparée de toi. J’essaie de m’occuper un peu, pour ne pas m’abrutir, mais je t’assure que j’ai bien du mal à secouer ma torpeur.

Je n’ai pas pris encore de renseignements pour notre voyage en Alsace. Je vais le faire bientôt.

Je ne t’écris pas plus longuement ce soir, car je veux me lever tôt demain pour me rendre à la culture physique.



[1] Je me dois ici de faire un aparté : Mon grand-père Henry Postel du Mas (le père de Philippe) et son frère Vivian travaillaient comme journalistes au journal parisien, le Gil Blas ; Vivian et Henri n’avaient pas les mêmes idées politiques, Henry, plutôt conservateur et Vivian, porté vers les idées progressistes, et en particulier anti-colonialistes, ce qui était très mal perçu à l’époque (avant la guerre de 1914-18). Vivian a écrit en particulier une « Visite à Jérôme et Jean Tharaud » le 15 mars 1912, où il décrit les idées anti-colonialistes des frères Tharaud, qu’il développa sous forme d’imprécations. Ceci valut à son auteur d’être renvoyé du Gil Blas. Seul, mon grand-père y demeura, jusqu’à sa mobilisation en 1914.

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