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De si longues Fiançailles
21 avril 2021

Lettre de Philippe à Denise, à bord du Condorcet vers le 12 juin 1937

Pardonne-moi ma dernière lettre, elle était complètement désespérée et je n’aurais pas du te l’envoyer, et attendre un peu pour t’écrire comme je le fais quand j’ai trop le cafard et que je ne veux pas que tu le saches, pour que toi au moins, ne sois pas triste. J’ai écrit à mes parents et au Commandant Bonnot, pour leur dire ce qui s’était passé et j’attends une réponse. Je ne pense pas que la situation puisse s’arranger au point de me permettre de partir dans l’aviation dans un mois, mais peut-être pourrai-je demander à y aller quand je serai aspirant. Pour le moment, je n’ai plus qu’à travailler dur pour sortir dans les premiers et ensuite, je verrai.

Comme toi, je ne veux pas d’une vie de marin long-courrier, et que nous passions notre jeunesse à deux ou trois mois de voyage l’un de l’autre. D’autre part, chercher une situation au sortir du service m’obligerait à avoir recours aux bons soins d’un homme politique et cela, je n’y tiens pas. D’ailleurs, une situation obtenue dans ces conditions serait-elle bien solide ? Alors, il reste la Marine de Guerre. Je la comprends mieux maintenant et je t’assure que ce serait très bien quand même, sauf peut-être que la première année, celle où je ne serai qu’enseigne de 2ème classe, sera plus difficile du point de vue argent, environ 500 F de moins que dans l’aviation.

Ecris-moi vite, Denise, il me tarde d’avoir une nouvelle lettre de toi. Ne sois pas trop découragée -je sais qu’on ne peut pas toujours avoir des heures riantes et que de dures déceptions surviennent au moment où l’on s’y attend le moins. On plie les épaules quand le coup est trop fort puis on se redresse et l’on regarde le nouveau problème. J’ai été très triste puis j’ai réfléchi et maintenant j’essaye de penser le moins possible à ce qui s’est passé, je me donne un but très proche : l’examen et le rang à obtenir, et tous mes efforts sont pour toi, ce qui me donne du courage chaque fois que je pourrais désespérer.

Le reste de ma vie s’écoule suivant le même rythme. Je suis allé il y a 3 semaines à Cros-de-Cagne chez les parents de Carus. Le dimanche après-midi, nous avons fait une promenade en voiture assez jolie et j’ai vu de l’autre côté de la vallée du Gard la route de la Turbie et plus loin, dans le fond, les sommets des Alpes avec la neige[1].

1937 06 12 Cros-de-Cagne            sommets enneigés des Alpes circuit de la Forna

Cros-de-Cagne                                                 Circuit de la Forna à partir de La Turbie

Nous nous étions arrêtés et Carus et moi, nous avions un peu marché. Il sait quelques petites choses : que nous sommes fiancés et que nous étions allés faire du ski en Alsace ; alors, comme il me voyait regarder la neige en rêvant, il m’a laissé seul –et j’ai rêvé très fort.

Mes moments de solitude sont rares, mais ils te sont tous dédiés et maintenant, j’arrive aussi à m’isoler au milieu de tous pour penser à toi.



[1] Philippe et Georges Carus ont fait « le circuit de la Forna », au départ de la Turbie sur l’actuelle route métropolitaine 2564.

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