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De si longues Fiançailles
19 octobre 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce 26 janvier 1936

J’essaie en vain de t’écrire depuis une heure, mais c’est assez difficile : tante Jeanne[1] parle sans arrêt, un véritable moulin à paroles.

1945 Baignes Jeanne Julie Maurice

Et impossible de me réfugier ailleurs, toutes les pièces sont occupées. Il fait un froid de canard, je suis gelée, et depuis mon arrivée, il n’a pas cessé de pleuvoir une minute, c’est gai.

Phil, je m’ennuie et je pense à toi. Que fais-tu ? J’espère que toi, au moins, tu as un peu de soleil. As-tu fait un peu de sport ? Tu as du voir les Jeanson[2]. Ecris-moi tout ce que tu fais, cela me fait du bien. C’est si triste pour moi, ici.

Ce matin, j’ai reçu une lettre de Nena[3]. Figure-toi, le divorce de Nelly[4] a été prononcé en mai dernier et elle s’est remariée deux mois après ! Et maintenant, elle est très heureuse. Je suis bien contente. Naturellement, Nena oublie de me donner l’adresse de Nelly, ça fait que je ne peux pas encore lui écrire.

Je t’envoie les deux timbres de ta dernière lettre, il n’y avait pas un seul cachet, je ne sais pourquoi. Mais il faut que tu t’en serves avant de quitter le Maroc[5].

Phil, tu n’as pas idée de ce que ça peut être démoralisant de n’être pas seule un seul instant.

Je crois que Maman ne viendra pas. Quant à Simone, elle ne restera pas longtemps, pas même un mois. Nous rentrerons à Toulon le 1er mars très probablement[6].

Est-ce qu’il n’est pas question de vous faire revenir à cause de la débâcle gouvernementale en Espagne ?

La Retirada janvier 39

Je voudrais bien savoir quand tu toucheras ta solde, en mars, et combien tu toucheras. J’ai tellement peur qu’on soit fauchés comme l’année dernière, qu’au fond, je préfère que tu n’achètes pas les fauteuils à Bizerte, même si tu devais toucher plus d’argent que d’habitude. Il faut penser que j’ai mon billet à prendre et que nous serons obligés de dépenser un peu plus d’argent pendant le séjour de Simone.

C’est la dernière fois que je viens à Paris dans ces conditions-là. C’est vraiment désagréable.

J’ai reçu une lettre de ta mère. Il paraît que le Commandant Bonnot va aux Antilles. J’ai écrit à Mme Bonnot[7], mais elle ne m’a pas encore répondu. Ta mère a l’air de dire que je devrais aller voir Mme Bertrand[8], à cause du bureau de tabac de Maman, parce que ça l’ennuie d’écrire si Mme Bertrand ne me connaît pas. Ça m’ennuie beaucoup, mais enfin, je le ferai si c’est nécessaire.

Dédicace à Mme William Bertrand

Phil, je voudrais bien te dire des choses gentilles, toutes celles que je pense quand je suis dans mon lit, le soir, seul endroit où j’ai un peu de solitude ! Mais ici, c’est vraiment impossible. Ecris-moi très souvent, c’est la seule chose qui puisse me consoler un peu.

J’étais à la fenêtre, le jour du départ, à 9h25. J’ai vu passer 10 bâtiments. Mais vous êtes partis plus tôt que tu ne me l’avais dit, et je n’ai pas su si j’avais vu le « Vautour ». Je voudrais être à Toulon, dans notre maison, avec toi. Hélas, il faut attendre plus de 40 jours, encore.



[1] Jeanne Furet-Proutaux, la sœur aînée de Julie, mariée à Maurice Proutaux, le frère du défunt Lucien.

[2] Henri (1898-1966)  et Jeanne JEANSON ont été présentés le 8 décembre 1937, dans une lettre de condoléances, suite au décès de Lucien Proutaux.

[3] Nena de Bernalès, amie de Denise à Paris à la fin des années 1920.

[4] Nelly Zaky est l’amie égyptienne de Denise dont nous avons suivi la correspondance depuis 1930. Lorsque Philippe est passé en Egypte en 1938, il a essayé de voir Nelly à son domicile du Caire mais elle avait déménagé.

[5] Une façon rusée  d’obtenir une lettre de Philippe à brève échéance !

[6] Pas de précision sur ce voyage, mais il semble que Denise ait invité sa mère et sa sœur à Toulon.

[7] Roger et Yvonne Bonnot, vieux amis de la famille Dyvorne, très souvent cités dans notre correspondance.

[8] Jeanne Bertrand, née Couraleau, épouse de William Bertrand, ancien ministre, ancien député de la Charente Inférieure et sénateur depuis janvier 1939.

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