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De si longues Fiançailles
27 mai 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, dimanche 7 novembre 1937

Tu es tout de même un méchant garçon, Phil, tu es parti depuis une semaine et tu as trouvé le moyen de m’écrire une seule fois ! (C’est vrai, je devrais déjà m’estimer heureuse). Comme en plus de cela, tu ne savais rien au moment où tu m’écrivais, c’est tout à fait agréable pour moi. Je ne sais même pas si tu es sur « Lorraine ».

Vraiment, tu n’es pas chic, et je ne comprends pas comment tu as le courage d’être de mauvaise humeur quand, moi, je suis en retard.

C’est six heures chaque fois que je devrais te faire attendre[1] pour me venger de tous tes retards par lettre !

Je ne suis pas sortie depuis mardi parce que mon pied ne s’arrangeait pas. Seulement hier, on a eu l’idée de me mettre des compresses humides et maintenant, c’est à peu près fini. Heureusement, parce que je veux sortir demain matin voir Edith[2], et à six heures, j’ai ma leçon d’espagnol.

J’ai écrit hier à Chéray[3] et aujourd’hui à Madame Hanns[4] pour lui annoncer mes fiançailles.

Mme Hanns Lucie

 Je pense que demain, tu dois partir pour Cherbourg. Qu’est-ce que vous y ferez ?

Figure-toi que l’infirmière de papa va me faire un service de table : nappe et serviettes, épatant, avec des jours très jolis, sur de la toile de lin. Je l’aurais bien prise verte, mais comme je ne sais pas de quelle couleur seront mes assiettes, j’ai envie que la toile soit beige. Seulement, j’ai envie aussi d’avoir des assiettes beiges, en grosse faïence sans garniture. Alors, évidemment, la nappe verte ferait très joli. Qu’en penses-tu ?

J’étais très contente quand cette brave fille[5] m’a offert ça. Je l’ai embrassée pour la peine !

Par exemple, aujourd’hui, j’étais bien moins contente. Madame Rosé m’a demandé si je voulais lui copier mes broderies hongroises parce qu’elle les trouve très jolies et veut en garnir une robe. Tu parles d’un travail ! Je n’ai pas pu refuser, mais je m’en serais dispensée. Je vais tâcher de simplifier le dessin. Ma cousine (Minnie) m’a demandé de lui broder une combinaison et je voulais faire un gilet à Simone. Mais flûte ! J’ai envie de travailler pour moi maintenant.

Tante Jeanne m’a apporté deux chemises de nuit « pour mon trousseau » ! La première en voile blanc, très Marlène Dietrich dans « Le Chevalier sans armure ». Elle l’a achetée toute faite et elle n’est pas trop mal.

Marlène Dietrich dans le Chevalier sans armure 1937 Marlène en chemise de nuit dans Le Chevalier sans armure (1937)

La seconde –qu’elle a faite- est en toile de soie, de ce rose bonbon que tu aimes tant ! Elle veut m’en donner six ! Enfin, je tâcherai de limiter la catastrophe, je lui dirai que tu n’aimes pas le rose bonbon (Elle  le chérit, elle, au contraire).

Moi, j’ai fait un ourlet à jour à un mouchoir. Mais je dois en faire dix encore avant que la douzaine soit complète…

Tu vois, je deviens riche…

J’ai dépensé exactement en un an 5.959,80 francs. Par exemple, ce qui m’affole, c’est que ce dernier mois d’octobre (en comptant tous mes voyages, le séjour dans l’île et même les 150 frs que mes parents avaient donnés pour l’Exposition), j’ai dépensé 1.407,70 frs. Tu ne trouves pas que c’est effrayant ?



[1] Les retards de Denise étaient proverbiaux, quand il ne s’agissait pas de rendez-vous professionnels.

[2] Edith Láng Laszló, amie d’Amrita, pianiste hongroise (voir carte du 10 septembre 1937).

[3] Chéray, où s’est installée Lucie et Paul, son père, sur l’île d’Oléron.

[4] Mme Hanns est l’épouse du docteur Alfred Hanns, grand ami du capitaine Proutaux, compagnon de guerre avec qui il est toujours resté en contact étroit.

[5] Difficile de déterminer, dans le bataillon d’infirmières au chevet de Lucien, laquelle parmi les infirmières a offert ce service de table à Denise. Un nom revient  souvent dans l’agenda de Julie, celui de Melle Gorge.

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