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De si longues Fiançailles
3 juillet 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, jeudi 13 janvier 1938

C’est absolument affolant tout ce qu’il faut pour avoir l’honneur d’être ta femme ! Heureusement que tu croyais que les formalités de permission étaient réservées aux simples matelots…

Je me demande s’il y a à Clichy un lieutenant de gendarmerie.

gendarme et gendarmerie de Clichy vers 1938

J’aimerais beaucoup mieux que ça passe par le commissariat, parce que j’y connais des tas de gens. Enfin ! Je suppose que ton gendarme ne me mangera pas. Quand recevrai-je sa visite ? Et si je ne suis pas à la maison ce jour-là ?

Voici les renseignements que tu demandes : 18 août 1909, 47 rue de l’Avenir à Clichy.

1909 acte de naissance Denise

Je crois que j’ai besoin d’un acte de naissance et d’un certificat de domicile, mais il me semble qu’en les demandant au début de février, ce sera suffisant.

Je crois moi aussi qu’il faut nous résigner à nous marier à Clichy. J’envie les Anglais qui n’ont pas à remplir toutes ces formalités empoisonnantes et peuvent se marier où bon leur semble. Comme je voudrais que tout cela soit terminé et que nous soyons enfin seuls, pour toujours.

Phil, j’ai moins de patience que jamais. Je t’aime davantage tous les jours. Il me semble que nous serons si heureux.

Je n’ai pas fait grand-chose depuis ma dernière lettre, seulement quelques courses.

J’ai acheté « Les Harmonies Viennoises » de Jean Cassou[1], un livre dans le genre d’ "Olivia", et un « Villon » dans une édition épatante, illustrée d’après les images du temps. Je sais que tu as déjà un Villon, mais je n’ai pas pu résister à la tentation. Je ne lis rien, pour lire tout cela avec toi, chez nous.

Villon et Cassou  Pages Villon & Cassou

J’ai été chercher le service à thé que j’avais commandé avant mon départ. Il y a un travail fou (de broderie), il ne sera sûrement pas fini avant notre mariage, mais ce sera très joli.

On me fait une blouse en lainage blanc pour mon ensemble en drap satin. Elle est bordée en noir, argent et violet. C’est très joli.

Demain, je vais voir si je trouve du satin noir pour me faire une robe, du drap satin noir pour un manteau (probablement celui que je porterai pour mon mariage[2]), de la toile de lin blanche et du shantung[3] pour me faire deux costumes-tailleurs. Es-tu content ?

La mariée était en noir

Je suis toujours un peu affolée en songeant à tout ce qui me reste à faire et à acheter. C’est malheureux que les jolies choses coûtent de l’argent, on devrait les donner !

Il paraît qu’il y a une exposition de Gauguin à l’Orangerie. Quel dommage que tu ne sois pas ici ! Mais si tu peux venir deux jours en février, elle sera probablement encore ouverte.

Je vais te quitter parce qu’il est tard, et demain, je veux aller à l’allemand. Je t’en prie, écris-moi très souvent. Est-ce que tu peux encore travailler, ou penses-tu seulement à notre mariage ? Je ne peux pas imaginer que dans deux mois  ½, je serai ta femme. Je le désire depuis tellement longtemps que j’avais fini par douter de la réalisation.

P.S. : As-tu écrit à Berry[4] ?



[1] Les Harmonies viennoises ont paru en 1926. Roman de la Jeunesse de Jean Cassou (1897-1986), on a parlé à son propos d’un renouveau du romantisme.

[2] En raison du deuil du père de Denise, celle-ci se mariera en noir. C’est la raison pour laquelle aucune photo ne fut prise lors de la cérémonie.

[3] Le shantung est un tissu de soie sauvage en armure toile, fabriqué originellement dans la province chinoise du Shantung, qui se caractérise par sa texture cannelée. Par analogie, il donne ce nom à d'autres textiles présentant cette apparence cannelée.

[4] Berry, le diminutif d’Albert Zinglé, jeune Alsacien connu en mars 1937 lors du séjour de Phil et Denise à Stosswihr.

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