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De si longues Fiançailles
3 septembre 2021

Lettre de Denise à Philippe, Toulon, vendredi 20 mai 1938

J’ai été si contente de recevoir ta lettre ce matin. Je n’y comptais pas. Ecris-moi très souvent, si tu savais comme cela me rend heureuse.

Moi aussi la pensée de tous les jours à venir sans toi me rend folle. J’essaie d’être courageuse, mais c’est difficile. Cependant, j’ai rangé la maison, il y a maintenant des papiers (pour tapisser les placards) partout, ça fait bien plus propre. Tous les placards attendant les affaires contenues dans les caisses. Il y aura suffisamment de place. J’ai seulement ouvert la malle en osier et la cantine qui contenait le linge et les vêtements. Il reste donc huit caisses fermées. C’est mieux puisque je laisse les clés à la propriétaire. Je fermerai seulement tous les placards qui peuvent être fermés.

Maintenant, j’ai hâte que tu sois ici pour que nous nous installions définitivement. Tu sais, ce sera gentil tout de même. Je changerai les rideaux des fenêtres et de la bibliothèque, je mettrai un dessus de lit, des tapis sur les tables et commodes et des nattes par terre. Avec nos affaires personnelles, tableaux[1], etc., tu verras, ce ne sera pas mal du tout.

Si tu ne trouves rien, ce n’est pas grave. Je trouverai peut-être ici. Je ne crois pas qu’il y ait grand-chose à Port-Said, mais peut-être à Beyrouth.

Port-Said

Je crois que Palmyre, c’est très curieux. Je suis contente que tu puisses faire des excursions. Dire que ce serait merveilleux si nous étions ensemble !

As-tu joué au football toi aussi, ou seulement ton équipe ? Comment jouent-ils ?

J’ai reçu une lettre de ta mère. Elle m’annonce qu’elle a l’intention de venir me chercher à Royan pour connaître Maman ! Comme si elle avait besoin de la connaître. Je me demande ce qu’elle a dans la tête, je n’aurais jamais pensé qu’elle était aussi anxieuse de connaître ma famille… Une fois de plus, je suis embêtée. S’il n’y avait que maman… mais il y a tante Marie[2], et j’aurais bien préféré que celle-ci te connaisse avant de connaître ta mère (Envoie une carte à tante Marie).

Enfin… il n’y a qu’à attendre les événements. Me voilà forcée d’aller à Chéray, je rapporterai ton costume gris. Par exemple, elle me demande si tu as l’intention de prendre une permission en août parce que nous pourrions aller à Chéray, ça jamais ! Tu feras ce que tu voudras, mais moi, je reste à Toulon… Nous sommes restés ensemble 25 jours depuis notre mariage, on peut bien nous ficher un peu la paix pour les quelques pauvres jours que nous pourrions passer complètement l’un à l’autre… Je vais lui dire que tu n’auras qu’une semaine de permission et que nous la passerons à ranger la maison.

Un autre événement désagréable, j’ai été diner chez les Jouachim, je ne pouvais pas me dispenser de les avertir de ma présence, étant donné l’endroit où ils habitent, c’était fatal que nous nous rencontrions. La femme est pire que tout : poseuse, snob et complètement, mais complètement idiote. Ils crient sur tous les toits qu’ils ne sont pas des bourgeois ! (Depuis que je suis ici, je n’entends que des gens qui ne sont pas des bourgeois, soi-disant. C’est à vous en dégoûter), qu’ils ne vivent pas comme des bourgeois… Enfin, tu vois le genre. Et ce n’est même pas joli chez eux, très quelconque, sans aucune originalité, et pourtant  la maison s’y prêterait. Il paraît qu’ils ne fréquentent que des officiers de marine, parce que les G.M. sont infréquentables… Je suis sortie de chez eux complètement démoralisée en pensant que si les officiers de marine sont réellement dans ce genre, je nuirai sûrement à ton avancement, parce que je ne consentirai jamais, non jamais, à aller chez des gens comme ça.

1924 09 Solange Bourgoin La Baule

1932 Solange & Raymond Jouachim (1)

Jouachim est beaucoup plus gentil que sa femme, mais sûrement, il n’a aucune personnalité pour pouvoir vivre depuis six ans avec une harpie pareille[3].

Reviens vite, Phil, j’en ai assez de tous ces gens (je vais bien m’amuser à Royan avec la perspective de la visite de ta mère)

J’ai écrit à Nelly[4] pour lui dire que tu allais peut-être à Alexandrie. C’est malheureux, j’aurais été contente que tu la voies.

Vue d'Alexandrie et des bains

Dans quel pays se trouvent Port-Said et Famagouste ? Je ne me souviens pas et je n’ai pas de dictionnaire.

Je pars toujours dimanche soir mais je n’ai pas encore retenu mon billet. J’ai assez d’argent puisque je n’ai pas remboursé tonton Maurice (Proutaux), qui n’a du reste rien payé encore, lui non plus.

Ecris-moi très vite et très longuement. Je t’envierais si je n’étais pas sûre que tu es très triste toi aussi. Ici, temps effroyable. Il est joli le climat de la Côte d’Azur ! Pluies tropicales deux jours sur trois. Aujourd’hui, il fait relativement beau mais il y a le mistral.



[1] Et parmi ceux-ci, le fameux portrait « La Jeune Fille en Noir », disparu par la suite….

[2] Marie Broussard, propriétaire des maisons de Baignes et Royan.

[3] Tout ce paragraphe est curieux. En effet, à l’origine, Denise était amie de Solange Bourgoin, l’épouse de Raymond Jouachim. A-t-elle changé depuis son mariage en 1932 ?  Denise ne la connaissait peut-être pas sous son vrai jour. Quant au caractère bourgeois, il est indéniable, si on regarde le parcours de Jouachim (voir lettre du 11 mai).

[4] Nelly Zaky, l’amie égyptienne de Denise, dont nous suivons les péripéties de son divorce depuis 1936.

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