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De si longues Fiançailles
16 mars 2020

Lettre de Philippe à Denise, Nantes 17-06-1931

Vous appelez ça de la chance : être à Royan sans vous ? mais cela va m’être beaucoup plus dur que d’être à Nantes car ici, je suis occupé et les choses n’ont pas votre empreinte tandis qu’à Royan, partout où je serai, je retrouverai votre souvenir et votre absence ne m’en sera que plus pénible. Vous pourrez m’écrire votre prochaine lettre à Royan, car j’y serai vendredi matin à 8h. Vous n’avez sûrement pas déchiré la photo car je n’avais oublié qu’une chose : c’est de la mettre dans ma lettre… !

Vous avez entendu parler de la noyade collective du St Philibert[1]. Je n’avais, par hasard, personne de mes connaissances immédiates, mais je connais pas mal de gens qui ont des amis ou des parents qui y sont restés. Pauvres diables.

Naufrage Chappedelaine au chevet des blessés

Une photo du St Philibert avant la catastrophe                       Visite du ministre Chappedelaine aux rescapés

1931 06 17 le saint Philibert au renflouement le St Philibert renfloué

J’ai peur que vous ne restiez pas très longtemps au stand de la Marine Marchande[2] car il ne doit rien y avoir qui puisse vous intéresser.

La moitié de mes examens est passée, celle dont j’avais le plus peur. Heureusement, cela va à peu près et j’espère ne pas avoir perdu trop de points. Ce qui me reste, je suis à peu près sûr de moi et je gagnerai des points.



[1] Au sujet du naufrage : Le 14 juin 1931, le naufrage du vapeur Saint-Philibert, au large de Saint-Nazaire avait tout du drame annoncé : nombre de passagers trop important, conditions météos défavorables… Près de quatre cents personnes ont péri dans cette catastrophe qui a eu des répercussions politiques importantes, illustrant les divisions entre droite cléricale et gauche socialiste.

C’est la chronique d’un drame annoncé lorsque, ce dimanche 14 juin 1931, le capitaine Ollive et ses six hommes d’équipage accueillent 467 personnes sur le petit vapeur Saint-Philibert, amarré près du bureau du port de Nantes. Le navire a été loué par l’union des coopérateurs pour offrir une journée d’excursion à de nombreux ouvriers nantais ainsi qu’à leurs familles. Une cinquantaine d’enfants embarquent. Tous doivent passer la journée sur l’île de Noirmoutier.

On monte tant bien que mal sur le bateau : le Saint-Philibert est un vapeur non-ponté de 32 mètres de long pour 6 de large. Il est donc surchargé lorsqu’il prend la mer. Le voyage aller s’effectue cependant sans trop de difficultés.

Drame annoncé

Mais avant le retour, 46 personnes souffrant du mal de mer préfèrent revenir par voie terrestre car la mer a forci. Pourtant inquiet, le capitaine Ollive n’aurait d’ailleurs décidé d’embarquer que sous la pression des passagers. Au moment du départ, en fin d’après-midi, avant d’emprunter le chenal de la Loire, le vapeur s’approche de Saint-Nazaire. La mer est de plus en plus forte et le vent est monté. Beaucoup de passagers sont malades.

Pour vomir ou se protéger du vent, ils se bousculent sur le côté tribord, le moins exposé aux éléments. Ce mouvement a pour effet de provoquer une forte gîte. Le navire encaisse une grosse vague qui le fait se coucher avant qu’il ne parvienne à redresser. Un certain nombre de passagers tombent à l’eau et tentent de s’agripper à l’embarcation.

Mouvement de panique

C’est la panique ! D’autant qu’une seconde vague submerge le Saint-Philibert et le fait chavirer définitivement. Plusieurs dizaines de personnes restent prisonnières sous la coque. Certains sont parvenus à s’accrocher au navire retourné, mais ce dernier coule brusquement, les entraînant au fond de l’eau.

Sur la côte, le gardien du sémaphore de Préfailles assiste, horrifié, au naufrage. Il donne aussitôt l’alerte. Mais les canots mettent une heure avant d’arriver sur les lieux du drame. Ils repêchent huit survivants épuisés, parvenus à s’accrocher à des objets flottants.

Terrible bilan

Le bilan est terrible : on compte plus de 400 morts. Des familles entières sont décimées. Très vite, une chapelle ardente est érigée dans le palais du Harnachement, au cœur du château des ducs de Bretagne à Nantes. Les premiers corps repêchés arrivent, provoquant la douleur des familles venus reconnaître les cadavres. Les 77 premières victimes sont inhumées en grande pompe en présence du ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, lui-même d’origine nantaise. Des milliers de personnes suivent le passage des cercueils.

Sur les bords de la Loire, des corps s’échouent tous les jours, tandis que les pêcheurs remontent sans cesse de nouveaux cadavres. En juillet, on retrouve encore des victimes jusqu’en Charente où elles ont dérivé. Renflouée fin août, l’épave du Saint-Philibert livre encore une cinquantaine de cadavres. Conséquence logique, la consommation de poissons et de crustacés s’effondre dans la région au cours des mois qui suivent. Plusieurs complaintes sont également composées.

L’émotion est considérable et le ministre de la Marine, Chappedelaine annonce des mesures pour améliorer la sécurité en mer. Il est vrai que faire monter plus de cinq cents personnes sur un si petit navire relevait de la folie inconsciente. Pourtant, l’armateur sera exonéré de toutes charges lors du procès de 1933. Renfloué, le Saint-Philibert a continué à naviguer (sous un autre nom), jusqu’en 1979…

Répercussions politiques

Les répercussions sont aussi politiques car le mouvement syndical et socialiste nantais est très touché par la catastrophe, de nombreux militants faisant partie des victimes. Mais ce qui provoque la polémique, c’est la réaction de certains prêtres qui voient une punition divine dans ce naufrage. Les ouvriers n’ont-ils pas cédé aux sirènes de l’athéisme en préférant une sortie en mer plutôt que d’assister à la messe ? Un bulletin paroissial, à Joué-sur-Erdre va jusqu’à publier : « N’est-ce pas le châtiment du Bon Dieu pour toutes les orgies et insanités commises publiquement pendant la traversée ? »

Attitude marginale, mais reprise par l’extrême droite qui ne se prive pas d’attiser une vive polémique dans une ville pourtant bouleversée par le drame. Trente ans plus tard, le journaliste du Canard Enchaîné, Morvan Lebesque qui était présent à Nantes lors du drame, en a tiré l’une de ses chroniques les plus féroces contre l’intolérance religieuse.

[2] Exposition coloniale de 1931 : Les services généraux, travaux publics, marine marchande, P.T.T., aviation, présentent le tableau d’ensemble des grands travaux exécutés ou simplement projetés pour l’aménagement des ports de commerce, la protection et la fertilisation des campagnes, le développement de l’outillage, ses moyens de transport et de communication.

 

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