Lettre de Denise à Philippe, Paris, ce dimanche 29 novembre 1931
Stupide méchant garçon, vous mériteriez que j’attende un mois avant de vous répondre. Comment ? Je vous écris deux fois à quatre jours d’intervalle, et vous mettez quinze jours pour me répondre !? Votre dernière lettre était datée du 9. Je vous assure, j’étais très inquiète et je m’imaginais des choses très absurdes, par exemple, que maman ne me remettait pas vos lettres. Je vous en prie, ne recommencez plus, il est toujours possible de trouver un instant pour écrire quelques lignes. Ce que je ne comprends pas, par exemple, c’est que vous me reprochiez mon silence ! Vraiment, vous exagérez !
J’ai vu Marius au cinéma la semaine dernière. J’ai aimé un peu moins au théâtre, mais c’est bien tout de même[1]. Allez le voir, ça va passer sûrement à Bordeaux.
Marius, la pièce (1929) et le film (1931) avec Raimu et Pierre Fresnay
Je n’ai pas lu de livres intéressants depuis quelque temps. Seulement « La Légende de Guillaume d’Orange[2] », qui n’est pas une œuvre très nouvelle. Mais j’adore les légendes du Moyen-âge. Tristan et Yseult, tous les récits de la Table Ronde.
Je n’ai pas fait grand-chose non plus, bien que je ne sois jamais à la maison. Lundi prochain, je vais à une exposition de dessins italiens des XV et XVIèmes siècles. Il y a des Vinci, des Raphaël et beaucoup de Primitifs. C’est très malheureux que vous ne soyez pas ici, Phil, je suis sûre que vous deviendriez amoureux des vierges des primitifs, qui sont tellement belles et pures ! Il me semble que c’est impossible de ne pas les aimer, à moins d’être une brute.
Un dessin figurant à l'exposition: Portrait de Vieillard par Lorenzo di Credi
Je vous quitte pour mettre ma lettre à la poste, afin qu’elle vous parvienne avant que vous ayez changé d’adresse. Ne restez pas deux semaines sans m’écrire, mon ami, ou alors je serai tellement fâchée que vous n’aurez plus de mes nouvelles d’ici Pâques.
[1] Marius, de Marcel Pagnol est :
- D’abord une pièce de théâtre en 4 actes, dont la première représentation eut lieu à Paris le 9 mars 1929, avec Raimu et Pierre Fresnay
- Ensuite un film sorti en 1931, avec les mêmes acteurs
[2] Guillaume d'Orange, aussi appelé Guillaume Fièrebrace ou Guillaume de Rodès ou Guillaume au court nez (aussi orthographié Guillaume au Cornet), est un personnage de la littérature médiévale, qui apparaît dans plusieurs chansons de gestes rattachées à la matière de France (Geste de Garin de Monglane), dans lesquelles il est le fils d'Aymeri de Narbonne.