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De si longues Fiançailles
11 septembre 2020

Lettre d’Arnold Langins à Denise, Riga, 11 février 1935

1935 02 11 Arnold (1)  1935 02 11 Arnold (2)

Chère Denyse,

J’avoue que vous avez raison de m’adresser tous les reproches. Ma seule excuse serait peut-être ma paresse naturelle, mais vous ne l’accepterez pas, car il serait réellement difficile d’admettre que ce grave défaut de caractère soit une cause de mutisme si longtemps gardé, si je passe sur ma lettre de l’en dernier que vous n’avez probablement pas reçue[1]. Mais je vous promets de donner dorénavant de mes nouvelles régulièrement et, si vous consentez, cela nous permettra peut-être de redevenir les bons amis d’autrefois.

Que suis-je devenu ? C’est une longue histoire à raconter. Vous ne me croirez pas si je vous disais que, depuis le 1er novembre dernier, je suis devenu fonctionnaire aux Affaires Etrangères de Lettonie, que j’ai sur ma charge les fonctions d’attaché de service administratif et du protocole, en attendant que je sois nommé dans les cadres diplomatiques.

Ministère des A

Je vous vois déjà ouvrir de grands yeux en pensant tout bas que ce garçon a raté sa vocation. Je me console tout de même, en continuant mes études d’ingénieur-constructeur à l’Université de Riga et en me laissant persuader que la carrière diplomatique offre la possibilité d’y entrer et d’en sortir à tout âge, tandis que les ingénieurs en Lettonie, souvent, sont obligés de se faire enregistrer à la Bourse du Travail comme chômeurs, le plus souvent encore, ceux qui n’ont que les diplômes étrangers, car ceux-ci ne sont pas reconnus dans ce pays où la production nationale jouit d’un régime de protection.

J’avoue franchement que je vous croyais déjà mariée, n’ayant pas reçu de réponse à ma dernière lettre (de juillet ou août dernier, je crois). Votre petit mot m’a causé une véritable joie car, les liens conjugaux ne vous liant pas encore, je pourrai vous revoir un jour.

Je vous félicite de votre idée de venir à Riga, ne serait-ce qu’en journaliste. Vous verrez en Lettonie, ce carrefour où se sont rencontrées les civilisations occidentales et orientales, beaucoup de choses intéressantes.

Musée des Beaux-Arts de Riga

Nous avons eu ainsi de temps en temps des visites de Français (entre autres de M. Maurice Bedel[2]) qui viennent nous observer.

Maurice Bedel 1883-1954

Les diplomates français se trouvent très bien ici, à tel point qu’un mariage aura bientôt lieu entre le secrétaire de l’Attaché commercial[3] de France et une Lettone de Riga.

Légation de France à Riga

jeune fille lettone

Quant à moi, je préfère encore de rester vieux garçon. Si j’ai bonne mémoire, vous aussi à Paris, m’avez déconseillé de me marier, tout au moins par affection.

Je dois vous dire que, d’ailleurs par ma propre faute, j’ai perdu toutes mes relations en France. J’attendrai donc avec impatience votre lettre qui me fera un plaisir immense.

Si ça ne vous importune pas et si vous avez l’occasion de vous renseigner, faites-moi donc parvenir l’adresse de l’Association Générale des Etudiants[4]. Si je ne me trompe pas, c’est rue de la Bûcherie. J’en ai besoin pour mon service.

Dansez-vous encore ? Je le fais de temps en temps à Riga.

En attendant de vos nouvelles, je vous envoie mes meilleures amitiés

Arnold

Mon adresse :

Gertrudes iela 25, dz6, Riga

1935 monument inauguré Sculpeur Kärlis Zäle



[1] Arnold a envoyé une courte lettre annonçant l’arrivée d’un paquet pour Denise à Paris, le 16 février 1934. Il s’agit donc d’une autre missive, comme le précise Arnold (juillet ou août 1934).

[2] Maurice Bedel (1883-1954) est un écrivain, essayiste et journaliste français.

[3] Je n’ai pas retrouvé le nom du jeune couple qui projetait de se marier mais seulement celui de l’attaché commercial : Olivier Depret-Bixio (1891-1958). Voici ce qu’on dit de lui : «  Devant l’insuffisance des résultats, la création d’un poste d’attaché commercial pour les pays baltes, basé à Riga, s’imposa. Olivier Depret-Bixio y fut nommé. Diplômé de l’ELSP et de l’université d’Oxford, polyglotte, il bénéficiait d’une forte expérience professionnelle car il avait travaillé avant la guerre comme importateur de vins français à Moscou, puis après le conflit, comme agent général pour la vente et l’exportation de diverses usines françaises ou étrangères. »

[4] L’Association générale des étudiants de Paris (AGEP), est de 1884 à 1934, l'association qui veut représenter l'ensemble des étudiants parisiens. Elle disparaît en 1934 à cause de problèmes financiers. Sur ses ruines, les associations de facultés créent la Fédération des étudiants de Paris (FEP) qui est intégrée à l'UNEF en 1937. Arnold fait erreur, car, rue de la Bûcherie, dans l'ancien amphithéâtre de la Faculté de Médecine, était abritée la Maison des Etudiants

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