Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux mardi soir 20 octobre 1936
Tu as du recevoir maintenant ma dernière lettre et être fixée sur la date de mon examen. J’espère bien que tu n’iras pas à Bordeaux[1], parce que ce serait vraiment trop triste de se rater de cette façon-là.
Je ne suis pas si stupidement jaloux que tu me l’écris. Je te l’ai pourtant déjà expliqué bien des fois. Je ne vois aucun inconvénient à ce que tu sortes avec ce garçon letton[2] et je ne voudrais pas te savoir confinée entre les quatre murs de ta chambre sous prétexte que tu es ma fiancée et que je ne suis pas là pour te sortir.
Arnold Langins, jeune diplomate letton, dans les années 30
Ce qui ne me fait pas plaisir, c’est seulement d’ignorer ce que tu fais et c’est de t’entendre ensuite parler de choses que tu as faites, de gens que tu as connus sans que je le sache, parce qu’alors, il me semble qu’il y a une partie de ta vie qui m’échappe. Ne crois pas que je sois jaloux. Je souffre seulement de ne pas être toujours près de toi.
Nous sommes à présent jeudi et je n’ai pas le courage de recommencer ma lettre –d’autant plus qu’il faudrait recopier ce que j’ai écrit mardi, sinon tu penserais que je boude.
Depuis quelques jours, au lieu de marcher après déjeuner, je vais m’asseoir à Foncillon pour lire et j’ai lu ainsi la vie de Disraeli, de Maurois. C’est intéressant et on pourrait citer cet exemple aux gens qui fulminent parce que Blum est juif.
Affiche de l'Action Française en 1936
En dehors de ce livre et de quelques lectures sans intérêt –le Sablier de Maeterlinck- mon activité intellectuelle se réduit à la préparation de l’oral.
Je regretterai beaucoup de ne pas te voir au mariage de Simone, mais moins encore que de ne pas être ton cavalier –à propos, est-il trouvé, cet heureux garçon ? Il y a quelque temps, a paru dans un journal la nouvelle qu’un nommé Corne, 30 ans, était mort des suites d’un accident d’automobile. Je n’ai pas pu voir Lami et ne sais pas encore si c’est de Jean Corne qu’il s’agissait.