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De si longues Fiançailles
16 avril 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, samedi 29 mai 1937

Phil, je suis bien contente que tu t’ennuies moins qu’au début. Avec quel garçon étais-tu sur la photo ? En le regardant, comme il est légèrement chauve, j’ai pensé que de porter constamment un béret, ça allait peut-être faire tomber tes cheveux aussi. Est-ce que tu veux que je te fasse faire la lotion de Pérez[1] (le sourd), merveilleuse d’après lui ? On l’étend le matin sur sa tête avec une petite brosse.

D’après les dernières photos, Rosé ressemble à Marcel Thil[2] (côté chevelure). Je n’ai pas du tout envie que tu deviennes comme lui.

1948 lucien+simone à peu près au même âge...

Tu as tout de même de la chance d’être près de la mer et de pouvoir te baigner un peu. Ici, la chaleur est venue brusquement, alors c’est accablant. Je suis complètement abrutie et malade, j’ai des insomnies et des migraines horribles. J’ai été voir le docteur Lehmann il y a déjà un mois, j’ai fini par lui demander s’il ne pensait pas que c’était d’origine sexuelle, « parce que j’étais fiancée et que je ne pouvais pas me marier avant un an ». (Comme je ne lui ai pas dit que mon fiancé était toujours aux cinq cents diables, il a eu une haute idée de ma vertu…) Il avait déjà pensé à ça, mais il n’était pas très sûr que ça venait de là, tout au moins uniquement. Il m’a dit que c’était embêtant de m’ordonner des médicaments, mais que du moment que je ne pouvais pas quitter Paris, il ne savait pas trop quoi faire. Finalement, pour voir si ça venait réellement de cette question sexuelle, il m’a dit de prendre un truc à base de glandes d’animal (c’est ce qu’on ordonne aux femmes veuves, paraît-il !) ;  si ça calme mes nerfs, ça prouvera que ça vient de là. Mais je dois attendre encore un mois avant d’aller le revoir, pour que ça ait eu le temps de me faire quelque chose. Et malheureusement, jusqu’à présent, c’est négatif comme effet. Je passe des nuits épouvantables par moment.

J’ai le système nerveux complètement détraqué, avec des réflexes dix fois plus forts que la normale. C’est même assez curieux à observer.

Je crois au fond que je traverse une belle crise de neurasthénie. Et comme, évidemment, il n’y a rien autour de moi qui puisse m’aider à l’enrayer, je commence à être assez inquiète, parce que lorsque je pourrai avoir une vie normale, j’ai peur qu’il soit trop tard. Et tu sais, ce n’est pas drôle d’être neurasthénique toute sa vie, ni pour soi, ni pour les autres !

Enfin, ce n’est pas la peine de parler de cela.

Papa continue à aller mieux, ses plaies seront encore assez longues avant de se refermer, mais il engraisse en ce moment. Ma tante est à peu près guérie, elle s’en va sur les bords de la Loire avec mon oncle[3].

J’ai retrouvé mon dé dans le coffret d’Elizabeth Arden. Comme tu n’as sûrement pas écrit à Stosswihr, je te préviens[4].

coffret à poudre ancien Elizabeth Arden J'ai retrouvé mon dé dans le coffret d'Elizabeth Arden...

Comment êtes-vous choisis pour l’aviation ? Est-ce que c’est d’après les demandes ou êtes-vous désignés d’office ? Es-tu certain d’être pris ? Je voudrais bien que cette question soit réglée aussi, ça me préoccupe beaucoup. Mais je suppose que tu le sauras bientôt, puisque tu es déjà à la moitié de ton séjour à Toulon.

Je t’envoie la lettre de ta mère.

Je suis obligée de te quitter, j’ai tellement mal à la tête que je ne sais même plus ce que j’écris. Je voudrais bien que tu sois là.

P.S. : Est-ce que tu n’auras jamais une permission assez longue pour venir à Paris ?



[1] Jean-Jacques Pérez fréquentait le Garden Tennis à Royan. Atteint de surdité, il rencontre Denise à Paris et ils vont boire un thé au Colisée. La scène est racontée dans la lettre du 30 décembre 1936.

[2] Marcel Thil (1904-1968), boxeur français dont Denise parle dans la lettre du 17 avril 1932. Il a été champion du monde moyens en 1936.

[3] Maurice et Jeanne Proutaux. Cette dernière vient de subir, dans la même clinique que Lucien, une opération assez bénigne mais était ravie de pouvoir jouer à la malade.

[4] Denise pensait avoir oublié ce dé en argent à l’hôtel Herr à Stosswihr.

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