Lettre de Philippe à Denise, à bord du Condorcet 9 juin 1937

J’ai une grosse déception à t’annoncer : je suis refusé à la visite médicale pour l’aviation. Tous ces jours derniers, je ne t’ai pas écrit parce que j’attendais cette visite. Tu sais que lorsqu‘un événement important va se produire, je ne sais plus écrire et j’attendais… J’avais passé tout le reste très bien, le cœur, les réflexes, les oreilles et une partie de la vue, lorsqu’à la dernière chose à voir, « anastigmatisme[1] », on s’est aperçu que je réagissais trop à la lumière et l’on a repris mon acuité visuelle. On a trouvé que je n’avais que 8/10 au lieu de 10/10. Cela m’étonne parce que jusqu’à maintenant, j’avais toujours eu la vue normale et je pense que j’étais peut-être fatigué par le travail à la lumière électrique le soir.

Représentation d'une image rétinienne simulée (planche d'optotypes) chez un patient présentant 6 dioptries d'astigmatisme inversé (non conforme). Un flou directionnel règne dans le sens horizontal. L'acuité visuelle du patient non corrigé était de 2/10. Pour Philippe, l’acuité visuelle non corrigée était de 8/10.

Si tu savais combien je suis triste. Je me sens diminué vis-à-vis de toi –j’arriverai quand même dans la vie –pour toi- mais j’aurais voulu que ce soit de cette façon puisqu’elle te plaisait. Ecris-moi vite, j’en ai tant besoin. Je suis rentré à bord très triste, tu sais, et maintenant, je suis de garde jusqu’à minuit.

Pardon de te faire attendre cette lettre –tu l’auras bien assez tôt, mais hier soir, je n’ai pas eu le courage de continuer. Aujourd’hui, j’ai un peu réfléchi et je suis plus calme. J’écrirai demain à Bonnot[2] pour lui dire ce qui m’arrive et lui demander conseil.

Ecris-moi vite pour me dire que tu me pardonnes, que tu m’aimes quand même et que tu veux toujours de moi. Je suis très triste et voudrais te voir pour reprendre courage.

---

[1] Pour réussir ces tests, il faut avoir les qualités de l’anastigmatisme, qui est la propriété que possèdent certains systèmes optiques d'éviter l'astigmatisme.

[2] Le commandant Roger Bonnot, officier de marine, pilote et commandant de bord  de « La Croix du Sud » et du  « Lieutenant de Vaisseau Paris », célèbres hydravions. C’était un ami de la famille Dyvorne.