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De si longues Fiançailles
19 septembre 2021

Lettre de Denise à Philippe, Royan, ce 12 juin 1938

Je commence cette lettre, mais il doit être une heure impossible, je ne pourrai pas la finir cette nuit. C’est assommant, je dois attendre pour écrire que tout le monde soit couché, et ce soir, j’avais deux ou trois lettres indispensables  à faire. Résultat : je n’ose pas regarder la pendule.

Ta mère est venue cet après-midi ! En somme, ça aurait pu plus mal se passer, elle n’est pas restée trop longtemps. Je pars avec elle demain après-midi, et avec ton grand-père. Il est venu à Royan pour un congrès radical-socialiste[1].

1938 06 12 Echo d'Alger

Je resterai peut-être trois jours dans l’île, je verrai comment ça se passera.

Tu aurais pu peut-être leur envoyer un mot avant que j’y aille. Ça aurait évité de compliquer mon séjour.

Je voudrais bien que tout cela soit terminé. En dehors de la tristesse d’être séparée de toi, la vie en famille est une épreuve terriblement démoralisante pour moi. C’est la dernière fois que j’en fais l’expérience.

Picasso et la vision de la famille

reproduction en NB de La famille 1935  marina-picasso-shutterstock-editorial-395517l

1964 Tableau de famille, par Picasso  pablo-picasso-portrait-de-famille

Tu m’as grondée parce que je n’avais pas de courage, mais j’en aurais eu si tu m’avais écrit plus souvent. C’est long, tu sais, de rester neuf jours sans nouvelles de toi. C’est la moyenne. Toi, quand tu es en mer, tu sais que tu ne peux pas en recevoir, et à chaque port, tu en trouves une ou deux. Tandis que moi, j’attends continuellement. Et je n’ai pas de dérivatif.

Je vais me coucher, mes yeux me font mal et je suis réellement fatiguée. Bonne nuit, je vais rêver de toi.

                                                                                                              Lundi après-midi 13

Je n’ai pas rêvé de toi, mais toute la nuit, de disputes de famille. Tu vois où j’en suis… De vrais cauchemars, je me suis réveillée exténuée ce matin.

Somnifère année 1938

Ton grand-père sort d’ici. Il était venu voir Maman, ça s’est bien passé[2]. Ta mère vient me chercher tout à l’heure. Comme je voudrais que cette semaine soit passée ! J’ai plutôt envie de pleurer que de faire autre chose.

Quand reviendras-tu ? Tu ne me parles jamais de ton retour. Je ne me suis pourtant pas mariée avec toi pour mener cette vie détestable. Je voudrais que tu reviennes, je veux vivre avec toi et oublier tous les autres.

Cette lettre est la dernière que je t’écrirai de Royan. Tu ne m’as pas dit où adresser les suivantes.

Phil, je crois que je vais te quitter, je suis trop nerveuse pour t’écrire longuement. Décris-moi tout ce que tu vois. Si tu savais comme cela me donne envie d’être là-bas avec toi. Est-ce que c’est bien, Chypre ? Il me semble que cela doit être merveilleux, puisque c’est une île grecque.

Le dessus de lit est coupé, il est très bien. Pourvu que les dimensions soient bien celles de notre lit de Toulon ! J’ai tellement envie d’être là-bas… Il doit y faire si beau ! (Même trop, il y a une vague de chaleur en Italie) Ici, mauvais temps, comme d’habitude.

P.S. : Si tu passes par Alger, écris à André Mignot, médecin-lieutenant, poste restante. Il veut te voir.



[1] Au sujet du Congrès Radical-Socialiste de Royan voir la lettre de Denise du 3 juin.

[2] Rappelons quand même qu’il s’agit là d’une première prise de contact réelle entre les deux familles,  trois mois après le mariage. Les parents de Philippe et Denise, même s’ils ont peut-être eu l’occasion de se croiser à Royan tout au long des années 30, se sont ignorés royalement et les Dyvorne ne sont pas « montés » à Paris pour le mariage.

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