Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux, 26-04-1932

Je crois que cette fois-ci, vous pourrez gronder très fort ce flemmard de Phil, car cela a fait 8 jours ce matin que j’ai reçu votre lettre ! Vous me dites dans celle-ci que depuis dix jours vous n’avez reçu qu’une carte de moi et de Guy (Massé). Etait-ce le caviar et autres choses fort bonnes qui vous avaient fait oublier la lettre que je vous ai envoyée depuis ? ou bien ne l’avez-vous pas reçue ?

J’ai acheté il y a quelque temps « La petite fille de Jérusalem », de Myriam Harry[1], qui est très bien et que vous avez du lire cet hiver au cours de votre brusque tocade pour les Yiddish[2].

   La petite Fille de Jérusalem écrit par Myriam Harry

J’ai passé hier, avec félicitations du jury, le conseil de révision et j’ai été jugé bon pour le service armé ce dont je ne suis pas peu fier. A partir de la semaine prochaine, je me mets à nager sérieusement  et, depuis 15 jours, comme préparation, je fais tous les jours une demi-heure de culture physique. Je ne fume presque plus et je sens ma forme revenir.

Ne m’en veuillez pas trop si mes lettres ne sont guère intéressantes, mais songez que ma vie n’offre aucun imprévu et surtout que rien d’important ne se passe pour moi. Vous, à Paris, vous avez vos amis, des expositions, des films, des pièces, des concerts, ici, je n’ai presque rien et quand même, il y aurait quelque chose, le temps me manquerait pour y aller. Je ne vous écris que rarement, mais ce n’est que parce que je n’ai rien à dire et maintenant, je songe moins souvent à vous, car, pendant ce temps-là, je ne travaille pas et qu’après, c’est plus dur de se mettre au « boulot ».

Petite Denise, écrivez-moi vite pour me dire que vous me pardonnez mon silence et dans votre lettre, ne me parlez pas trop de caviar et surtout, ne m’écrivez pas après en avoir mangé !

 le caviar fut introduit en France à partir de 1920 et la Maison Prunier commença justement la production en cette année 1932.

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[1] La Petite Fille de Jérusalem est l'histoire d'une enfance dans la Ville sainte à la fin du XIXe siècle. Les odeurs des souks, les couleurs chaudes de la terre et des murs, le ciel, les musiques, les chants et les prières y sont mêlés. Ses habitants, décrits avec précision et humour, se côtoient : Arabes – musulmans et chrétiens –, Juifs, Turcs, Grecs, Arméniens, Russes, Circassiens, esclaves noirs, Occidentaux de toute confession...

[2] Allusion aux nouvelles connaissances qu’a faites Denise au cours des derniers mois : Michel Nimcovitz et Ramo Lemberg.