Lettre de Philippe à Denise, Bordeaux mardi 3 octobre 1933

Dimanche soir,  les pensées que j’avais étaient trop tristes pour que je t’écrive et hier soir encore. Lorsque tu es partie, je me suis senti très las et sans envie de rien, sauf peut-être de te revoir tout de suite et je savais cela impossible. Puis le soir, à l’heure où tu devais être rentrée à Royan, j’avais le cœur très lourd.

   

 Denise dans les rochers du fort (Le Chay, Royan, septembre 1933)

Pendant que je t’écris, un orage éclate sur Bordeaux, toi et ma mère m’ont dit ou écrit qu’il faisait mauvais temps en mer, Lafon[1] m’écrit de St Jean de Luz que la mer est démontée au fond du Golfe de Biscaye … et je suis bien tranquille à l’abri. Pourtant, je crois que je suis fait pour me battre. Alors, pourquoi la vie me refuse-t-elle et Denise, et l’occasion de vivre ?

«Eliboubane à la cape» (1982), d’Yvon Le Corre, collection particulière in «Les outils de la passion», Editions Chasse-Marée/Armen. C’est l'une des rares peintures de mer de l’artiste trégorois, en souvenir d’un méchant coup de vent dans le golfe de Gascogne, à la cape pendant plus de trente heures ! | PHOTO @ YVON LE CORRE

J’ai le spleen, j’étouffe  dans cette ville et je rêve de plein air et de toi. Ecris-moi et console-moi, je ne suis qu’un grand gosse qui doit rester tout seul dans un coin et qui s’ennuie de ne pas agir.

Pour ce que nous ferons à Noël –je n’en sais rien, laisse agir le temps, il décidera en partie ce que nous devrons faire. Evidemment, j’aimerai mieux te revoir à Royan. Et puis dans quelles conditions y habiterais-tu ?

Ps : t’es-tu remise de ton rhume ?

[1] Lafon, personnage épisodique que nous reverrons par la suite. Il semble se prénommer Alfred (lettre du 25 avril 1933)