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De si longues Fiançailles
22 mars 2021

Lettre de Denise à Philippe, Paris, mercredi 17 mars 1937

Je ne comprends rien à ton silence. Tu as tout de même dû recevoir mes deux lettres, ou sinon, tu aurais tout de même pu m’écrire, sachant que Papa avait été opéré. Tu dois te douter cependant que je passe des moments qui ne sont pas spécialement drôles.

L’état général de Papa est bien meilleur depuis deux jours. Il s’alimente assez bien et reprend des forces.

Lucien souriant & une de ses infirmières Lucien souriant en compagnie de l'une de ses infirmières.

Malheureusement, je crains fort qu’on soit obligé de lui couper le bras (suite de la transfusion du sang). Sa main est noire et desséchée comme celle d’une momie égyptienne. Il ne le sait pas encore, et quand il faudra lui apprendre, ce sera terrible.

Je dois te dire aussi qu’on s’est battu hier soir devant la maison. Total : 5 morts, 200 blessés[1]. Il paraît que ça va recommencer ce soir. Mais je ne pense pas que cela t’émotionne, ou t’intéresse particulièrement non plus[2].

Les funérailles après la fusillade de Clichy Les funérailles après la fusillade de Clichy

Si tu as toujours l’intention de venir à Paris, j’aimerais mieux que tu attendes quelques jours pour le faire. Parce que si l’état de papa continue à s’améliorer (surtout dès que la question de bras sera réglée), je pourrai peut-être m’éloigner pendant quelques jours de ces lieux de délices. Et si tu viens tout de suite, tu n’auras sûrement plus d’argent dans huit jours !

Je t’assure que je suis très fâchée et que je ne comprends rien à ton silence. Alors, tu feras bien de me répondre vite pour me l’expliquer.



[1] Les émeutes de Clichy du 16 mars 1937. Voir la lettre de Philippe du 17 mars. Voici ce qu’écrivait le journal Le Monde 50 ans plus tard, en 1987 : «La  Fusillade de Clichy demeure, dans la légende de la gauche, comme la tentative délibérée d'interrompre l'évolution du Front populaire vers une ligne de centre gauche, en terrorisant les modérés prêts à céder, en renforçant la dépendance de Léon Blum à l'égard de son aile gauche. Il fallait du sang sur le président du conseil, et Maurice Thorez, deux ans plus tard, le dénoncera comme  assassin des ouvriers de Clichy. Dans l'immédiat, c'était trop gros à formuler.

Qui alors avait intérêt à une telle machination ? L'extrême droite, et c'est pourquoi on y verra parfois un coup de la Cagoule. Mais la gauche sur-le-champ l'attribuera à La Rocque et aux militants du Parti social français. Ni ce schéma ni celui d'une machiavélique responsabilité communiste ne répondent aux faits. Quant à la Cagoule, peut-être, mais il faut être obsédé de complots.»

[2] Denise fait cette amère réflexion car elle n’a pas reçu de lettre de Philippe. En fait les courriers se sont entrecroisés, entre Swansea, Nantes   et Paris. Bien au contraire, Philippe exprime toute son inquiétude dans la lettre que recevra Denise le lendemain 18 mars.

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