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De si longues Fiançailles
25 juillet 2021

Lettre de Denise à Philippe, Clichy, dimanche 20 février 1938

Phil,

Ta lettre ne m’a pas rendue furieuse, mais elle m’a fait beaucoup de peine d’abord. Ensuite, j’ai réfléchi et pensé qu’il valait peut-être mieux ne pas changer la date de notre mariage[1]. Tu comprends, le lieutenant de vaisseau a seulement pensé qu’il était plus agréable d’avoir trois semaines ou un mois au moment de se marier, mais il ne connaît pas notre situation exactement.

un mariage de rêve

Tu n’es pas sûr d’avoir ton embarquement juste au 15 avril. Ensuite, en admettant que tout marche bien, tu ne peux pas demander une permission le lendemain de ton arrivée. De toute façon, si tu cherches un appartement (j’aimerais mieux être avec toi) et que je doive t’envoyer les affaires, cela prendra au moins dix ou quinze jours. Nous ne pourrions sûrement pas nous marier avant le 1er mai.

Or, Maman n’aura certainement plus d’argent à cette époque –puisqu’elle comptait aller en Charente vers le 15 avril, les affaires de sa pension n’étant pas terminées, alors, c’est moi qui devrais nous faire vivre sur notre argent à tous les deux. C’est complètement absurde.

Ensuite, il n’est pas dit qu’on t’accorde une permission immédiatement, si on ne te la donnait que dans trois mois ?

Si tu es affecté à un bâtiment qui doit partir ? Alors nous aurons peut-être quarante-huit heures pour nous marier et vivre ensemble ! Tandis que les douze jours, c’est sûr que nous les aurons.

En somme, pourquoi est-il indispensable que nous allions en Charente ? Sais-tu que notre voyage à Oléron, Baignes, Mirambeau, Bordeaux, Toulon, nous fera dépenser 6 à 800 francs supplémentaires.

carte france villes

Ta mère peut très bien t’envoyer tes vêtements civils, ou si ça lui occasionne une trop grande fatigue de les rassembler, tu peux passer quarante-huit heures dans l’île, seul, au début de ta permission, c'est-à-dire avant notre mariage. Ce ne sera pas une très grande dépense, puisque tu paies ¼ de place. Ce sont surtout mes voyages qui coûtent chers. Et étant seul, tu ne feras pas le voyage circuit auquel nous serons obligés si nous sommes tous les deux[2].

Ensuite, la question ennuyeuse est que je suis obligée de rester à Brest une dizaine de jours à l’hôtel quand ta permission sera finie, et que tu attendras ton embarquement. Mais, à ce moment-là, je serai ta femme et mon oncle[3] prétend que nous devons avoir droit à une indemnité de déplacement Toulon-Brest, qu’évidemment, nous ne toucherions pas si nous partions de Paris, Bordeaux, ou toute autre ville que Brest. Je t’en prie, renseigne-toi là-dessus, parce que, si en plus du voyage supprimé en Charente, nous avions droit à une indemnité, ça paierait mon voyage et mon séjour à Brest. Et puis, au lieu de nous marier au début des 12 jours, nous pouvons nous marier à la fin, comme cela, nous n’aurons pas de frais d’hôtel à Paris.

Tu toucheras mille francs pour ton costume d’enseigne, mais si tu te fais habiller par un tailleur militaire, tu peux lui donner cinq cents francs seulement. Le reste, on le paierait quand cela gênerait moins, peut-être dans deux ou trois mois.

Tenue de jour

Je suis bien, bien contente que tu sois décidé à ne rien demander à tes parents[4]. Je t’assure, nous pourrons nous débrouiller avec mon argent à moi et ce que tu toucheras. Ne parle pas à ta mère de tout cela avant que nous soyons absolument décidés sur ce que nous allons faire. La seule chose qui lui importe, c’est la question « argent » et la crainte d’avoir à nous en donner, pour le reste, elle s’en fiche car elle est profondément égoïste.

Je t’assure, Phil, il est plus sage que nous nous marions le plus tôt possible. Ne t’ennuie pas pour l’installation à Toulon que je serai obligée de faire au lieu de toi, d’abord tu seras là le soir, ensuite, étant donné que nous n’aurons pas de meubles, ce ne sera pas bien terrible. Ta permission, tu l’auras plus tard. Toutes les raisons que je te donne sont logiques, naturellement mon cœur est en accord avec elles, mais il n’y a pas que cela, puisque mes parents pensent aussi que cela vaut mieux.

Et puis, si nous repoussons la date, qui te dit pour combien de temps ? Et moi je te le dis franchement : je n’ai pas le courage d’attendre trois mois. Je ne le veux pas.

Il faut absolument que tu viennes un dimanche. Réponds-moi tout de suite en me disant ce que tu penses de tout cela. Je voudrais être plus vieille de quelques semaines ! Mais, je t’assure, il vaut mieux que nous ne changions pas la date de notre mariage. D’autant plus que tu sauras que tu es enseigne, puisque tu auras déjà passé l’examen.

J’attends ta lettre avec grande impatience.

1934 Zouzou



[1] Le problème est détaillé par Philippe dans sa lettre du 17 février. Elle avait trait à un report éventuel de la date de mariage, ce que Denise va réfuter complètement dans sa réponse.

[2] Une remarque importante : ni Paul, le grand-père, ni Lucie, la mère de Philippe, n’ont l’intention d’aller à Paris assister au mariage, si bien que Philippe se croit obligé d’aller en Charente et Charente Inférieure pour présenter sa femme une fois mariés, ce que Denise se refuse absolument.

[3] Maurice Proutaux

[4] La dernière lettre (du 14 février) reçue de Paul Dyvorne, a enlevé toute illusion à Philippe sur le soutien qu’il pourrait recevoir de sa famille quant à son mariage prochain.

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