Lettre de Philippe à Denise, Brest, le mercredi 13 avril 1938

Cet après-midi, nous avons eu officieusement nos affectations, je suis nommé à Brest sur un contre-torpilleur moderne. C’est très bien comme embarquement mais…

Il n’y a personne de nommé sur Galissonnière et à quelques exceptions près, il semble que personne n’a ce qu’il a demandé –un des mieux placés avait demandé les petits bâtiments à Toulon et a un cuirassé à Brest.

Je voudrais que tu n’aies pas trop de peine de venir ici. Dans un an, mon service fini, je me ferai pistonner pour avoir un embarquement à Bizerte en rengageant.

Je suis triste parce que je n’ai pas ce que j’avais voulu, parce que cela va te faire de la peine et que je ne serai pas près de toi pour te consoler.

Nous pensons que les affectations officielles nous seront remises après Pâques –mais peut-être est-ce que cela ira plus vite- dès que je serai nommé, je me présenterai à bord et j’espère bien avoir quelques jours pour venir te chercher. Sinon, je profiterai d’une fin de semaine -vendredi soir ou lundi après-midi pour aller à Paris.

L’augmentation des aspirants[1] –deuxième chose ennuyeuse- n’est pas encore faite.

J’ai touché seulement 300 Fr que je t’envoie tout de suite pour que tu ne sois pas sans argent mais d’ici une semaine, je t’en enverrai autant.

Question appartement : en descendant à terre j’ai rencontré Bézard[2], un mécanicien très chic type de Brest, qui m’avait proposé de m’en trouver un par relation et je lui ai demandé de se mettre en campagne. De plus, j’en connais un, correspondant à peu près à nos désirs, mais situé en pleine ville et assez cher : 600 Fr, avec chauffage central, etc.

Moi aussi, je suis triste de ne plus être près de toi et je comprends mieux combien j’ai besoin de ta présence pour vivre. Je ne suis rien sans toi. Les ennuis ne sont rien quand nous sommes l’un près de l’autre. Je suis anxieux de recevoir la réponse à ma lettre mais je ne veux pas que tu hésites à me dire ta déception pour cette nomination[3].

Nos projets ne sont guère changés car le « Terrible[4] » descend à Dakar à partir du 10 mai et pour une sortie de 34 jours seulement. Attends encore un peu pour mettre Enseigne sur mes lettres… cela vaut peut-être mieux.

  

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[1] Aspirant est un grade militaire. Étymologiquement, ce grade désigne celui qui aspire à devenir officier, c'est-à-dire qu'il attend cette promotion. C'est généralement un grade d'officier en formation. Dans l'Armée française, le grade d'aspirant est officiellement intermédiaire entre les grades de sous-officiers et d’officiers, mais il est assimilé aux officiers pour les fonctions, la discipline et la vie courante. L’aspirant est ainsi appelé lieutenant dans la Marine.

[2] S’agirait-il de BEZARD Eugène, Louis, né le  17 09 1911 à MINIHIC-SUR-RANCE (35) Marin de marine marchande, engagé le  23 05 1941 à St-Malo, numéro matricule 12766, affecté sur PLM 27, Névéda II, Châteauroux, Ostrevent et Médée ? Dans la famille Bezard, on était marin, comme l’atteste l’état-civil de ces autres membres de la famille : Eugène Louis BEZARD, né le 16 novembre 1858 à Minihic-sur-Rance,  (Ille-et-Vilaine), décédé le 7 novembre 1921 à  Minihic-sur-Rance, à l'âge de 62 ans, Marin, dont le père était Louis Gilles BEZARD 1828-1893 (Marin, gabier)

[3] Rien n’est fait… !

[4] Contre-torpilleur le « Terrible » : 4ème contre torpilleurs d'une série de 6 bâtiments particulièrement réussis ( "Le Fantasque", "L'Audacieux", "Le Malin", "Le Triomphant" et "L'Indomptable"), tous mis sur cale en 1931/32 et entrés en service en 1935/36. Leur silhouette élégante avec seulement 2 cheminées, contrastait avec celles des contre-torpilleurs Français des séries précédentes trop facilement identifiables à causes de leurs 3 tuyaux. Conçus pour opérer des raids en Méditerranée contre la "Régina Marina" Italienne, comme pour la marine fasciste, le rayon d'action avait été sacrifié au profit de la vitesse."Le Terrible" (avec "Le Malin", "Le Fantasque" et "Le Triomphant") sera modernisé aux USA en 1943-1944.