Lettre de Denise à Philippe, Royan, mercredi 13 septembre 1933
Tu dois avoir ma lettre maintenant, et j’espère que tu es un peu moins triste. Moi, je ne suis pas très gaie, surtout quand je pense à toi, mais enfin, je veux avoir du courage. Toi aussi, tu dois en avoir ; écoute, c’est impossible qu’on ait tout le temps la malchance contre nous. Il faudra bien qu’un jour ça change.
Aujourd’hui, j’ai vu Mignot. Il paraît que Pierre Bouzin me cherche pour me remettre un livre, que je suppose être « Les Amours jaunes[1] ». Je t’envoie un bout d’article trouvé sur Candide à ce propos.
Les Amours Jaunes, poésie de Tristan Corbière Le journal Gringoire
Sur Gringoire[1] de la semaine dernière, il y avait un papier assez curieux intitulé « Corsaires et flibustiers du siècle dernier ».
Le Paul-Michel va être réparé, paraît-il. Pierre Bouzin n’a pas voulu le vendre, parce qu’il veut encore s’en servir, d’après ce que j’ai cru comprendre.
Indu m’a écrit qu’elle était très contente que je ne sois pas fâchée, elle avait peur que je ne veuille plus la voir après son lâchage des vacances. Elle pose toujours, la pauvre gosse, le tableau n’est pas encore fini. Elle est très heureuse de me revoir, paraît-il. Je lui ai envoyé les deux contre-jours pris dans les rochers, le tien et le mien, elle les a trouvés très bien. A propos de photos, je me suis promenée toute la journée avec Simone pour en faire d’intéressantes. Simone a pris deux contre-jours de moi sur les rochers du Fort et de Foncillon.
Reflets, Denise, Philippe
J’ai pris aussi Le Né en canoë passant dans le soleil. Si c’est réussi, je t’enverrai tout cela, ça me donnera une autre occasion de t’écrire.
Simone veut sortir un peu ce soir. Il n’y a plus personne à Royan. Je vais tâcher de retrouver Pierre Bouzin.
[1] Les Amours jaunes est l'unique recueil de poésie du « poète maudit » Tristan Corbière, publié en 1873 chez Glady frères éditeurs à Paris, et comprenant la quasi-totalité de son œuvre poétique. Composé de 101 poèmes de tailles et de formes très diversifiées, il est publié à compte d'auteur deux ans avant la mort du poète, à l'âge de 29 ans, et passe totalement inaperçu à l'époque.
[2] Gringoire est un hebdomadaire politique et littéraire français de droite fondé en 1928 par Horace de Carbuccia, assisté de Georges Suarez et Joseph Kessel. C'est l'un des grands hebdomadaires de l'entre-deux-guerres: une place importante est accordée à la politique, une page littéraire de qualité, de grands reportages et de grands feuilletons. Il évoluera, au fil des événements, du centre droit à la droite nationaliste, puis au vichysme.