Lettre de Denise à Philippe, Paris, samedi-dimanche 20/21 octobre 1934

Phil, décidément, je prends ta détestable habitude… Je regarde tes photos, je relis tes lettres, je pense à toi… et je me persuade que ça te suffit. J’aurais dû t’écrire pendant ton examen –et pourtant, je t’assure, j’ai pensé à toi sans cesse depuis jeudi matin –et nous sommes samedi soir, tu n’auras rien de moi avant lundi… Tu n’es pas fâché tout de même, Phil ? J’avais commencé à t’écrire après le déjeuner quand une amie de Simone est arrivée, et comme celle-ci n’était pas là, j’ai été obligée de la recevoir. Et elle est restée toute l’après-midi ! Ensuite, j’ai relu tes lettres, et maintenant il est minuit… Je ne pensais pas que tu m’avais écrit tellement : 105 lettres. J’ai constaté des choses curieuses :

1°) Dans ta première lettre, c'est-à-dire il y a quatre ans, tu t’excusais déjà de ta paresse épistolaire ;

2°) Dans la 3^e, tu avouais, le 19 octobre 1930, avoir 24f50 pour terminer le mois ;

3°) Dans une lettre du 22 juillet 1931, tu m’affirmais que tu n’étais pas jaloux et que, du reste, ce n’était pas du tout, mais pas du tout, dans ton tempérament ;

Qu’est-ce que tu penses de ça, Phil ?

D’autre part, tu as gagné ton pari : c’est bien à Pâques que j’ai failli rencontrer ton grand-père (Paul Dyvorne) à Bordeaux.

Je crois que tu termines ton examen lundi. Tu n’es pas trop mécontent ? Et puis, si ça t’ennuie, tu sais, ne m’en parle pas.

Je traverse toujours la même crise de paresse et de cafard. J’ai été à la piscine avec Simone et Indu. Je suis toujours d’une hardiesse folle.

 Photo de 1932, Denise, Indira, Amrita à la piscine

L’affaire Simone & Rosé tourne à la comédie, Rosé ne s’étant pas suicidé. Il vient un peu plus souvent qu’avant, ce qui à pour résultat d’exaspérer Simone. Il a tenu absolument à me donner un rendez-vous pour m’entretenir de ces choses. Je n’ai pu que lui donner des conseils de modération, mais le plus drôle, c’est qu’il continue à se considérer comme fiancé ! Enfin, moi, je ne m’en mêle plus, ils se débrouilleront…

J’ai terminé, depuis mon retour, mon premier album de photos. Il s’arrête à l’année 1929. Je t’envoie trois photos que j’allais jeter, mais, après réflexion, je te les donne, tu ne dois pas en avoir de moi à cette époque. Les deux petites sont prises au Garden[1]. Déchire-les si elles ne te conviennent pas.

           

 L'album-photos de 1929

Ma lettre sera courte ce soir, il est une heure et demain matin je dois me lever tôt -7 heures- pour faire du cross-country. C’est le seul acte de volonté que je fasse depuis mon retour…

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[1] Le Garden : club de tennis de Royan, que Denise fréquentait assidûment jusqu’à ce qu’elle rencontre Philippe.